
Si l’incendie n’a rien coûté en vie humaine, le danger subsiste : quelque 400 tonnes de plomb contenues dans la toiture et dans la flèche de la cathédrale, comme dans les peintures, se sont volatilisées en volutes jaunes chargées de particules toxiques. Un risque sur lequel les discours officiels restent opaques.
Tribune. L’image a tétanisé le monde : le 15 avril, la flèche embrasée de Notre-Dame, phare emblématique du patrimoine mondial, s’effondre. L’émotion internationale suscitée par ce dramatique incendie contraste avec le voile pudique qui est tombé sur ses possibles effets sanitaires. Si l’on s’est réjoui que le drame n’ait pas coûté une vie humaine, ce serait aller bien vite en besogne que de dire que le danger a disparu : les quelque 400 tonnes de plomb contenues dans la toiture et dans la flèche de la cathédrale, comme les vernis et peintures servant à sa décoration, se sont volatilisées en d’immenses volutes jaunes chargées de particules toxiques. Dès le lendemain, Airparif attestait l’absence de pollution de l’air par le plomb… tout en précisant ne pas avoir les moyens ni le mandat d’effectuer des mesures spécifiques et locales. Pas de thermomètre, pas de fièvre. Voilà le public rassuré.
Il y a là, pourtant, une invisibilisation du risque, que n’ont pas manqué de dénoncer plusieurs associations environnementales, telles Robin des Bois et l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS), forçant les autorités à sortir de leur réserve. Le 29 avril, après deux semaines d’un silence officiel assourdissant, la Préfecture de police de Paris a publié un discret communiqué de presse destiné aux riverains de la cathédrale, leur conseillant de procéder au ménage de leurs locaux « à l’aide de lingettes humides » et de s’adresser à leur médecin traitant « en cas de doute ». Réaction bien tardive, indications bien vagues et prévention bien négligente pour un risque toxique dont le périmètre géographique n’est pas non plus défini. (...)
Sur ce qui s’apparente à une nécessaire dépollution qui ne dit pas son nom, l’opacité du discours officiel est flagrante, enrobant le risque d’un halo coupable ; rien sur le danger avéré que représentent les poussières de plomb et les opérations de nettoyage pour les femmes enceintes et les jeunes enfants, particulièrement sensibles aux ravages du poison ; rien non plus sur le devenir du square Jean-XXIII, fermé « par raison de sécurité » selon le site de la mairie de Paris, alors que le square René-Viviani, au pied de Saint-Julien-le-Pauvre, à moins de 100 mètres à vol d’oiseau, voit les bambins s’égayer joyeusement, les mains dans le sable. Or, pas plus que le nuage radioactif de Tchernobyl ne s’est arrêté aux frontières vosgiennes, les retombées chargées de plomb n’ont été limitées à l’ile de la Cité. (...)
Malgré l’amélioration de la prévention, le plomb présent dans les logements provoque encore troubles de la croissance et retards psychomoteurs irréversibles.
Depuis le 15 avril, contrastant avec l’enthousiasme des levées de fonds, flotte autour de Notre-Dame une chappe de silence. Les pompiers qui ont courageusement défendu la cathédrale perchés au-dessus du brasier, les riverains et les commerçants du quartier dont les locaux ont été empoussiérés, les ouvriers qui vont déblayer les gravats et démonter la gigantesque cage métallique de l’échafaudage central tordu par la chaleur, ceux qui travailleront à la reconstruction du monument, doivent être informés et protégés contre le poison, selon une procédure transparente et publique.
Pressés par l’impatience de voir Notre-Dame reconstruite, ne laissons pas, une fois de plus, occulter les dangers du poison par un silence de plomb. (...)