
Roxanne Mitralias est militante à SYRIZA, au CADTM, ainsi qu’au Front de Gauche sur les questions agricoles et écologiques. Sociologue rurale et des sciences de formation, elle travaille aux côtés des mouvements paysans en France. Elle revient pour Contretemps sur la situation en Grèce et en particulier sur les effets destructeurs pour l’environnement des politiques d’austérité.
Cela fait maintenant près de trois ans que la Grèce est devenue le laboratoire de politiques d’austérité d’une ampleur sans précédent au Nord. On y applique des recettes qu’on nommait « plans d’ajustements structurels » du temps du FMI et qu’on appelle, à l’heure de la Troïka, « plans de sauvetage ». Laboratoire aussi et surtout pour tester la population, évaluer jusqu’où il est possible d’aller sans que celle-ci ne se révolte. Malgré deux dizaines de grèves générales en trois ans et plus de cinq mille manifestations et grèves en 2012, des occupations et des mouvements de désobéissance civile d’ampleur, on peut dire aujourd’hui qu’il est possible d’aller très loin, au-delà de ce qu’il était permis d’imaginer. En termes de droits sociaux, la situation est relativement connue. En moyenne, un grec a perdu 40% de son salaire. Il doit en même temps faire face à l’augmentation du coût de la vie (liée à l’augmentation des taxes, mais aussi à la dépendance aux importations et à certains cartels – comme celui du lait, un des plus chers d’Europe) mais aussi à des impôts faramineux, qualifiés depuis trois ans d’« extraordinaires ». Très souvent ce même grec a perdu son travail, assez vite ses indemnités chômage et sa couverture santé. Il peut alors finir à la rue, ou bien émigrer, certaines fois il est poussé au suicide. (...)
Dans ce fameux laboratoire, on mène d’autres sortes d’expériences. De manière tout à fait concomitante avec la destruction de la société, le gouvernement de la Troïka a pris ses dispositions pour exploiter les ressources naturelles. Evidemment cela se fait par les moyens classiques, c’est-à-dire la diminution des fonds accordés à la protection et la gestion de l’environnement. Cela passe aussi par la remise en cause des dispositions législatives et règlementaires qui barraient tant bien que mal la route à la surexploitation des ressources naturelles. Mais cela va jusqu’à la remise en cause de la constitution grecque qui empêchait (dans plusieurs articles dont l’article 24) l’exploitation privée du littoral et des espaces forestiers ; le mémorandum 2, voté au printemps 2012, accorde désormais cette possibilité.
Les plages, par exemple, sont cédées pour 50 ans ! On assiste déjà ou très bientôt à une vague de privatisations, de concessions, de ventes et, d’une manière générale, d’accaparements sans précédent : des ressources minières, des terres, du littoral, de la mer, des forêts, des îles, des sources thermales et des grottes, des monuments archéologiques et des ports ou de la gestion des déchets et de l’eau.
Cela se traduit aussi par ce qu’on appelle des éléphants blancs, c’est-à-dire des grands projets inutiles construits contre les besoins des populations, y compris dans une période de récession de cette ampleur : c’est le cas du projet de détournement du fleuve Akhelóös ou des investissements nécessaires pour les énergies renouvelables industrielles. Mais, les formidables cadeaux qu’offre le gouvernement grec au « monde de l’entreprise », ne servent même pas à créer de l’emploi ou améliorer le sort de la population, puisque le chômage atteint 27% en 2012. Dans cette Grèce du XXIème siècle où l’on brade tout pour rien, c’en est fini de la vie telle qu’on l’a connaissait. Le pays devient un protectorat énergétique et la nature se transforme en un nouvel espace d’investissement, immense casino pour les profits des capitalistes avides de continuer à s’enrichir. Bienvenue dans ce monde où cette déesse moderne, la dette, exige qu’on sacrifie à son autel tout ce qui faisait le socle de la société humaine. (...)
depuis quelques temps une nouvelle a réussi à briser les murs du silence européen, et est arrivée jusque dans les journaux télévisés français. Athènes et Thessalonique seraient recouvertes d’un nuage de pollution. Cette nuée noire dans le ciel des grandes villes grecques rappelle amèrement aux grecs la période glorieuse de la croissance, où l’on construisait des stades et des routes inutiles pour accueillir les athlètes du monde entier et où l’on prenait la voiture pour faire ses courses à l’épicerie du quartier. Ainsi la population française a appris que les grecs, désormais trop pauvres pour pouvoir se chauffer au fioul (soumis à une taxe de consommation spécifique, il a vu son prix grimper de 40% rien que pendant l’année 2012), se replient sur le bois de chauffage. Ils brûleraient même n’importe quoi selon les médias grecs, y compris des bouts d’arbres coupés illégalement dans les parcs menus ou des vieux meubles chargés de produits chimiques d’entretien. Comme quoi la décroissance forcée n’est pas forcément écologique. La situation est désormais très préoccupante, puisque le taux de pollution du ciel citadin dépasse régulièrement le seuil de dangerosité préconisé par les experts. Mais aussi, on apprend régulièrement que des écoles ou des universités doivent fermer leurs portes parce qu’elles n’ont plus de budget pour acheter du fioul. On entend dire enfin que les victimes d’incendies ou d’intoxication de gaz sont de plus en plus nombreuses. (...)
Au moment où la population athénienne arrête massivement de prendre la voiture, le prix du billet du métro subit une énième augmentation pour atteindre 1 euros 75 centimes. Son prix a augmenté de 135% en quatre ans. (...)
le réseau routier, desservant des zones très difficiles dont des montagnes, est totalement laissé à l’abandon depuis que des dizaines de milliers de fonctionnaires ont été mis en disponibilité. (...)
Les forêts grecques subissent en même temps les politiques de privatisation, de désengagement de l’état et de destruction de l’environnement. Non seulement il apparaît qu’elles sont surexploitées pour satisfaire la demande croissante pour le bois de chauffage, et du même coup enrichir les quelques intermédiaires qui se sont placés sur le marché, mais elles sont de moins en moins protégées. Les responsables politiques ont soigneusement fait sauter les législations qui régulaient aussi bien l’exploitation des forêts par la sylviculture que la possibilité de bâtir. (...)
Face à ce processus, des résistances se sont développées : les habitants d’Elliniko, après avoir lutté pour que leur plage ne soit pas cédée à des entrepreneurs grecs douteux, occupent maintenant une partie de l’ancien aéroport ! Des oliveraies (1150 arbres) et des jardins sont plantés et cultivés. Elliniko est devenu un lieu d’émulation pour le mouvement social athénien puisqu’on peut y suivre des débats, des événements artistiques, des formations sur les techniques agronomiques et même se faire soigner, quand on ne peut faire autrement, dans le dispensaire de santé solidaire et autogéré qui s’est installé dans le même quartier. Les coalitions progressistes des villes concernées par la vente de la côte d’Athènes se rebellent également : de Moschato à Glyfada, Vouliagmeni ou Anavyssos, ces projets de « valorisation » ne passent pas auprès des habitants. (...)
Un des combats, des plus virulents et radicaux de la dernière période a eu lieu dans le quartier de Kératéa, dans l’agglomération athénienne. Une véritable guérilla a opposé les habitants aux CRS. Le gouvernement, dépassé par plusieurs années de lutte acharnée contre le projet d’incinérateur, a dû même faire appel aux forces de police ! Mais malgré ces menaces les habitants n’ont pas reculés. La lutte de Kératéa a été victorieuse : depuis 2010 le projet est abandonné ! Aujourd’hui il existe en Grèce une coordination des comités s’opposant à ces projets de gestion de déchets et proposant une gestion décentralisée et coopérative (prosynat). Pour recevoir le « paquet de sauvetage » qui sert à financer les partenariats publics-privés au profit du privé dans le cas de la gestion des déchets, il y a une condition expresse : privatiser la gestion de l’eau. La vente d’EYDAP, la compagnie des eaux d’Athènes et d’EYATH – la très profitable compagnie des eaux de Thessalonique – ainsi que des barrages hydroélectriques ne signifie pas seulement perdre le contrôle d’une ressource naturelle d’une importance majeure pour le pays. (...)
Comme pour la gestion des déchets, il existe aujourd’hui en Grèce une initiative contre la privatisation de l’eau et qui propose des modèles de gestion de l’eau au niveau local (initiative 136 à Thessalonique), de manière non lucrative, par les citoyens et en exerçant un contrôle social. Les habitants organisés par quartiers sont prêts à racheter des parts lors de la privatisation d’EYATH. Encore une fois, contrairement à ses engagements internationaux en termes de droits humains ou de préservation de l’environnement, le gouvernement promeut et finance des travaux gigantesques de détournements de rivières (Akhelóös en Thessalie, Aóös en Epire, et le projet de Árakhthos depuis peu abandonnés grâce à la mobilisation de la population) ou de barrages pour conforter ce modèle d’utilisation de l’eau qui va dans le sens du gaspillage et de la privatisation de la ressource. Evidemment, les investisseurs privés ne sont pas intéressés par une gestion de l’eau économe, proche des besoins de la population et respectueuse des contraintes naturelles. (...)
La danse macabre sur l’environnement grec va-t-elle continuer ? C’est la question que les écologistes grecs, la gauche et les mouvements citoyens se posent. Les entreprises qui convoitent les ressources du pays tentent de s’imposer (et de plus en plus en employant la force) à l’aide de la Troïka grecque et internationale. Pour n’en citer que quelques unes : EDF, Iberderola, Eldorado Gold, Gazprom, Suez ou Siemens font tout leur possible pour pouvoir continuer à faire des profits sur le dos de la population et de l’environnement. Elles souhaitent employer des « esclaves modernes » pour 300 euros par mois dans les hôtels « all inclusive » pour très riches, racler toute ressource énergétique et hydrique, posséder les terres publiques et occuper in fine une place stratégique en méditerranée. Elles rêvent d’un nouveau colonialisme énergétique et foncier du XXIème siècle. Mais, c’est sans compter sans les mouvements d’ampleur qui se développent un peu partout sur le territoire !