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Aurions-nous tout faux au sujet de la dépression ?
Article mis en ligne le 4 février 2019
dernière modification le 31 janvier 2019

Dans les années 1970, une découverte a été accidentellement faite au sujet de la dépression – une découverte qui fut rapidement mise de côté, car ses implications étaient trop dérangeantes et explosives. Des psychiatres étasunien·nes avaient publié un ouvrage censé décrire en détail tous les symptômes des différentes maladies mentales, afin qu’elles puissent être identifiées et traitées de la même manière à travers tous les États-Unis. Il s’agissait du Manuel diagnostique et statistique [DSM]. La dernière édition répertorie neuf symptômes qu’un·e patient·e doit manifester pour recevoir un diagnostic de dépression – comme, par exemple, une diminution de l’intérêt ou du plaisir ou une baisse persistante de l’humeur. Pour qu’un·e médecin conclut qu’une personne était dépressive, celle-ci devait manifester cinq de ces symptômes pendant plusieurs semaines.

Le manuel fut envoyé aux médecins à travers les États-Unis, qui commencèrent à l’utiliser pour diagnostiquer les gens. Toutefois, après un certain temps, iels signalèrent aux auteurices que quelque chose les dérangeait. Si l’on suivait ce guide, il aurait fallu diagnostiquer comme dépressives toutes les personnes endeuillées qui venaient les voir et les mettre sous traitement médical. Lorsque vous perdez quelqu’un·e, il s’avère que vous manifestez automatiquement ces symptômes. Alors, les médecins demandèrent : "sommes-nous censé·es nous mettre à médicamenter toutes les personnes endeuillées des États-Unis ?"

Les auteurices se concertèrent et décidèrent qu’une clause spéciale serait ajoutée à la liste des symptômes de la dépression. Rien de tout ça ne s’applique, dirent-iels, si vous avez perdu un·e être aimé·e durant l’année écoulée. Dans ce cas-là, tous ces symptômes constituent une réponse naturelle et non un trouble. On appela cela "l’exception du deuil" et le problème semblait réglé.

Puis, au fil des années et des décennies, les médecins, en première ligne, commencèrent à faire part d’autres interrogations. Partout dans le monde, on les encourageait à dire aux patient·es que la dépression était simplement le résultat spontané d’un déséquilibre chimique cérébral, causé par un taux de sérotonine trop faible, ou par un manque naturel d’une autre substance chimique. Ce n’est pas causé par votre vie – c’est causé par votre cerveau défectueux. Certain·es médecins ont commencé à questionner le fait que cela puisse être compatible avec l’exception du deuil. Si l’on admet que les symptômes de la dépression peuvent être une réponse logique et compréhensible à un ensemble donné de circonstances de vie – perdre un·e être aimé·e – ne pourraient-ils pas constituer une réponse compréhensible dans d’autres situations ? Et si vous perdez votre emploi ? Et si vous vous retrouvez coincé·e dans un travail que vous détestez pour les 40 prochaines années ? Si vous êtes seul·e et sans ami·e ?

L’exception du deuil semblait avoir créé une faille dans l’affirmation voulant que les causes de la dépression seraient déjà scellées dans notre crâne. Cela laissait entendre qu’il existait des causes extérieures, dans l’environnement, et que c’était là qu’elles devaient être appréhendées et résolues. Ce fut un débat dans lequel la psychiatrie traditionnelle (à quelques exceptions près) ne voulu pas s’engager. La réponse fut donc simple – l’exception du deuil fut progressivement réduite. À chaque nouvelle édition du manuel, la période de deuil autorisée avant d’être considéré·e comme malade mental·e fut réduite – jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que de quelques mois, avant de finir par disparaître complètement. Maintenant, si votre bébé meurt à 10h, votre médecin peut vous diagnostiquer une maladie mentale à 10h01 et commencer à vous médicamenter dans la foulée. (...)

L’exception du deuil semblait avoir créé une faille dans l’affirmation voulant que les causes de la dépression seraient déjà scellées dans notre crâne. Cela laissait entendre qu’il existait des causes extérieures, dans l’environnement, et que c’était là qu’elles devaient être appréhendées et résolues. Ce fut un débat dans lequel la psychiatrie traditionnelle (à quelques exceptions près) ne voulu pas s’engager. La réponse fut donc simple – l’exception du deuil fut progressivement réduite. À chaque nouvelle édition du manuel, la période de deuil autorisée avant d’être considéré·e comme malade mental·e fut réduite – jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que de quelques mois, avant de finir par disparaître complètement. Maintenant, si votre bébé meurt à 10h, votre médecin peut vous diagnostiquer une maladie mentale à 10h01 et commencer à vous médicamenter dans la foulée. (...)

Mais alors, que ce passe-t-il réellement ? Lorsque j’ai interviewé des spécialistes des sciences sociales du monde entier – de São Paulo à Sydney, en passant par Los Angeles et Londres – j’ai commencé à entrevoir un tableau inattendu. Nous savons tous et toutes que chaque être humain·e a des besoins physiques de base : en nourriture, en eau, en logement, en air pur. Il s’avère que, de la même manière, tou·tes les humain·es ont certains besoins psychologiques fondamentaux. Nous avons besoin de sentir que nous avons une place dans le monde. Nous avons besoin de nous sentir valorisé·es. Nous avons besoin de sentir que nous sommes doué·es pour quelque chose. Nous avons besoin de nous sentir securisé·es vis-à-vis de l’avenir. Et il est de plus en plus démontré que notre culture ne répond pas à ces besoins psychologiques pour beaucoup de gens, probablement la plupart. J’ai appris que, de manières très différentes, nous avons fini par être déconnecté·es des choses dont nous avons vraiment besoin et cette profonde déconnexion est le moteur de cette épidémie de dépression et d’anxiété qui nous entoure.

Examinons l’une de ces causes ainsi que l’une des solutions qui apparait lorsque l’on appréhende les choses différemment. Il existe des preuves solides permettant de dire que les êtres humain·es ont besoin de sentir que leur vie a un sens – que ce qu’iels font apporte quelque chose. C’est un besoin psychologique naturel. Mais entre 2011 et 2012, la société de sondage Gallup a mené l’étude la plus détaillée jamais réalisée au sujet des sentiments des gens vis-vis de ce à quoi iels consacrent la plupart de leurs vies éveillées – leur travail rémunéré. Les résultats montrent que 13% des gens disent se sentir « impliqué·es » dans leur travail – iels le trouvent significatif et l’attendent avec impatience. Environ 63% affirment qu’iels ne s’y sentent « pas impliqué·es », ce qui est défini par le fait de « dormir debout pendant leur journée de travail ». Enfin, 24% sont « activement désengagé·es » : iels le détestent.

J’ai réalisé que la plupart des personnes déprimées et anxieuses que je connais, faisaient partie des 87% qui n’aimaient pas leur travail. J’ai commencé à fouiller pour voir s’il existait des preuves montrant que cela pouvait être lié à la dépression. Il s’est avéré qu’une découverte scientifique avait été faite sur cette question dans les années 1970, par un scientifique australien appelé Michael Marmot. Il voulait mener une enquête pour déterminer les causes du stress en milieu de travail et pensait avoir trouver le parfait terrain pour les découvrir : la fonction publique britannique, basée à Whitehall. Cette petite armée de bureaucrates était divisée en 19 niveaux différents, allant de la ou du secrétaire permanent·e au sommet, jusqu’aux dactylos tout en bas. A la base, il voulait pouvoir répondre à cette question : qui est la personne la plus susceptible d’avoir une crise cardiaque liée au stress – la ou le grand patron au sommet, ou une personne sous sa direction ?

Tout le monde lui disait : vous perdez votre temps. Évidemment que la ou le patron sera plus stressé étant donné qu’iel a plus de responsabilités. Mais quand Marmot publia ses résultats, il révéla qu’en vérité c’était exactement l’inverse. Plus un·e employé·e est classé bas dans la hiérarchie, plus son niveau de stress est élevé et sa probabilité d’avoir une crise cardiaque est élevée. Après ça, il voulu savoir : pourquoi ?

C’est ainsi qu’après deux années de plus à étudier les fonctionnaires, il découvrit le facteur le plus important. Il s’avère que si vous n’avez aucun contrôle sur votre travail, vous êtes beaucoup plus susceptible de devenir stressé·e – et surtout, dépressive·if. Les humain·es ont un besoin inné de sentir que ce qu’iels font, au quotidien, est significatif. Lorsque vous êtes contrôlé·e, vous ne pouvez pas créer un sens à votre travail.

Soudainement, la dépression de beaucoup de mes ami·es, y compris celleux qui occupent des emplois de rêve – qui passent la plupart de leurs temps éveillé à se sentir contrôlé·es sans être apprécié·es – a commencé à ne plus ressembler à un problème cérébral mais plutôt à un problème environnemental. J’ai découvert qu’il existe de nombreuses causes de dépression comme celle-ci. Cependant, mon voyage ne consistait pas simplement à trouver les raisons pour lesquelles nous nous sentions si mal. L’essentiel était de trouver comment nous pouvions nous sentir mieux – comment nous pouvions trouver des antidépresseurs réels et durables qui fonctionnent pour la plupart d’entre nous, au-delà des boîtes de médicaments qui nous ont été proposées comme la seule option au menu des personnes dépressives et anxieuses. Je continuais à penser à ce que le docteur Cacciatore m’avait enseigné – nous devons faire face aux problèmes plus profonds qui causent toute cette détresse. (...)

Après avoir appris tout cela, ainsi que ce que cela signifiait pour nous tou·tes, j’ai commencé à désirer avoir le pouvoir de remonter le temps pour parler à mon moi adolescent le jour où on lui a raconté une histoire sur sa dépression qui allait l’envoyer dans la mauvaise direction pendant tant d’années. Je voulais lui dire : « Cette douleur que tu ressens n’est pas une pathologie. Ce n’est pas fou. C’est un signal qui indique que tes besoins psychologiques naturels ne sont pas satisfaits. C’est une forme de deuil – vis-à-vis de toi et de la culture dans laquelle tu vis si mal. Je sais combien ça fait mal. Je sais à quel point ça te blesse. Mais tu dois écouter ce signal. Nous avons tou·tes besoin d’écouter les gens autour de nous qui envoient ce signal. Il te dit ce qui ne va pas. Il te dit que tu as besoin d’être connecté de manière bien plus profonde et vibrante que tu ne l’es aujourd’hui – mais tu peux l’être, un jour. »

Si vous souffrez de dépression et d’anxiété, vous n’êtes pas une machine avec des pièces défectueuses. Vous êtes un·e être humain·e avec des besoins non satisfaits. Le seul moyen de sortir de notre épidémie de désespoir, c’est que nous tou·tes, ensemble, commencions à répondre à ces besoins humains – pour créer un lien profond avec les choses qui comptent vraiment dans la vie.