
Créteil - "Aujourd’hui on recense les malades. Demain ce seront des morts" : au tribunal de grande instance de Créteil, voilà près de vingt ans que syndicats et ex-employés dénoncent "le déni" des autorités sur la présence d’amiante, qui aurait déjà provoqué la mort d’une magistrate.
Ce tribunal, l’un des plus importants de France, est le théâtre d’une guerre larvée entre une large alliance syndicale et le ministère de la Justice. Si des centaines de bâtiments publics sont concernés en France par ce matériau hautement nocif, ce qui fait du TGI de Créteil "un dossier emblématique, c’est le déni des autorités", selon Alain Bobbio, de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva).
Début septembre, le décès d’Hélène Bienvenu, une magistrate de 62 ans qui a travaillé dix ans à Créteil, a ravivé les craintes. (...)
"L’amiante au tribunal de Créteil, c’est une longue histoire. Trop longue, même" : à la tête de cette alliance syndicale réunissant aujourd’hui magistrats, policiers et fonctionnaires du tribunal, Daniel Naudin incarne à 66 ans la mémoire de ce très ancien combat.
Fin des années 1990. Julien De Flores, un employé du conseil général du Val-de-Marne mis à disposition du tribunal pour assurer des travaux d’entretien, est appelé pour un problème de toilettes bouchées dans la salle où attendent détenus et policiers. C’est là qu’un détenu "en col blanc" lui affirme que "le bâtiment est bourré d’amiante", se remémore-t-il. (...)
L’employé finit par donner l’alerte. Une expertise partielle confirme la présence d’amiante et une enveloppe budgétaire est débloquée : "Mais elle ira dans d’autres travaux", affirme M. Naudin. Entretemps, d’autres agents saisissent la présidence du tribunal. "Aux agents qui posaient des questions, la réponse était toujours la même : +circulez y’a rien à voir+ ", dénonce le syndicaliste.
Trois ans plus tard, alors qu’il est sur le point de prendre sa retraite, Julien De Flores découvre qu’il est atteint d’une asbestose, une maladie pulmonaire résultant, selon son médecin, d’une exposition à l’amiante.
S’engage alors un bras de fer avec le tribunal. (...)
Malgré ce premier cas et alors que l’inquiétude commence à se répandre dans le tribunal, la hiérarchie campe sur ses positions : fin septembre 2005, le président du TGI Didier Marshall déclare au Parisien qu’il est "impossible de respirer de l’amiante au tribunal de Créteil".
Mais les syndicats maintiennent la pression et obtiennent une expertise dont les résultats dévoilés en février 2006 sont alarmants : (...)
Nous sommes inaudibles malgré nos demandes répétées", déplore M. Naudin. Au tribunal, rares sont les personnes acceptant de témoigner à visage découvert : un fonctionnaire dénonce une "omerta" quand une autre, qui travaille au tribunal depuis 21 ans, estime que c’est "le pot de terre contre le pot de fer". "Je fais du sport, j’essaie de manger correctement mais je vais peut être découvrir dans quelques années que j’ai un cancer. Comment ne pas y penser ?" (...)