
Lancé il y a 14 ans, l’EPR de Flamanville n’est toujours pas achevé. Et d’aucuns se demandent s’il pourra vraiment démarrer un jour. Des doutes étrangers à Emmanuel Macron, qui entend relancer la construction de nouveaux réacteurs.
« Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays », annonçait Emmanuel Macron lors de son allocution du 9 novembre. Ce sera l’un des thèmes qui opposeront les candidats à la présidentielle : bâtir ou non de nouveaux réacteurs, et lesquels ? Le dernier modèle français, à savoir l’EPR, enchaîne les déboires depuis quinze ans. Pour le moment, il n’en existe que deux en fonctionnement dans le monde, à Taishan, dans le sud-est de la Chine. Quatre autres réacteurs de ce type sont en construction : un à Flamanville en France, un autre à Olkiluoto en Finlande et deux à Hinkley Point au Royaume-Uni. Les États-Unis, l’Inde et les Émirats arabes unis – un temps intéressés – n’ont finalement jamais passé commande pour aucun EPR. D’autres tentatives d’exportation ont avorté en Afrique du Sud et au Vietnam.
16 ans de chantier et toujours pas d’électricité (...)
Baptisé « European Pressurized Water Reactor », ce nouveau réacteur doit répondre à des exigences accrues de sûreté suite aux accidents de Three Mile Island, aux États-Unis, en 1979, et de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986. Il doit aussi être plus puissant que ses prédécesseurs (...)
La France se retrouve donc seule à la barre de l’EPR, acronyme qui signifie désormais « Evolutionary Pressurized Reactor ». Seule, mais désunie. Car Areva et EDF construisent chacun leur prototype. En Finlande pour Areva, qui a vendu un EPR à l’électricien TVO en 2003. En Normandie, à Flamanville pour EDF, dont le projet a été approuvé par le gouvernement (dirigé à l’époque par Jean-Pierre Raffarin) en 2004. (...)
En Finlande, où le chantier a débuté en septembre 2005, la mise en service était prévue quatre ans plus tard, à peine : le réacteur était censé fonctionner à la mi-2009. Mais divers imprévus sont venus entraver cet optimiste calendrier. Aux problèmes de fabrication – notamment dans le coulage du béton – se sont ajoutés des soucis administratifs et de très mauvaises relations entre Areva (le fournisseur) et TVO (le client). Résultat : la mise en service a été repoussée à 2011, puis à 2013, puis d’année en année. Le gouvernement finlandais a annoncé ce 17 décembre le démarrage du réacteur « au cours du mois de décembre ». Soit 17 ans après le lancement du chantier.
Certains agents EDF prédisent que l’EPR de Flamanville ne tournera jamais
Côté français, la durée des travaux a également due être revue à la hausse. « Les besoins en ingénierie de construction étaient estimés à 5 millions d’heures de travail ; il en faudra 22 millions, relève un rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2020. Près de 4500 modifications ont été apportées depuis le début de la construction, entraînant régulièrement l’arrêt du chantier pour laisser le temps à l’ingénierie de traiter les difficultés rencontrées. » Promis pour 2011, le lancement de la production d’électricité à été décalé à 2013, puis 2017, puis 2021... La dernière échéance est annoncée pour début 2023. (...)
De l’autre côté de la Manche, à Hinkley Point, le chantier a commencé en 2017 pour un démarrage en 2025. En septembre 2019, EDF annonçait les premiers retards, d’environ un an... (...)
Ces divers dépassements n’impressionnent pas outre mesure en interne. Tout le monde savait que les délais annoncés lors du lancement du chantier étaient totalement irréalistes. D’autant plus irréalistes que pendant 20 ans aucune centrale n’avait été construite en France, entraînant une déstructuration des filières industrielles nécessaires à de tels chantiers, ainsi qu’une perte de savoir-faire. (...)
les dernières tranches de centrale nucléaire mises en service par EDF, à savoir Chooz (2000) et Civaux (2002), ont connu des durées de construction excédant les dix années.
Une facture multipliée par quatre (...)
En Finlande, les retards et surcoûts du chantier ont largement contribué aux déboires d’Areva (devenu Orano) qui s’est retrouvé en quasi faillite en 2014 avant d’être finalement sauvé par l’État (donc par les contribuables français). En Angleterre, des surcoûts sont également d’ores et déjà enregistrés. Le montage financier adopté par EDF pour cet EPR est même si risqué (avec notamment des promesse de rachat de l’électricité à des tarifs très élevés) qu’il « s’est heurté à une contestation inhabituelle au sein de l’entreprise », note la Cour des comptes (...)
Avec le Brexit, de nouvelles difficultés apparaissent, côté approvisionnements en matériaux et possibilité de recourir à des travailleurs détachés.
Comme pour les délais, ces envolées de coûts ne constituent pas vraiment une surprise (...)
Soudures défectueuses, couvercle de cuve non conforme... la sûreté en question
Depuis le début du chantier de Flamanville, l’ASN a dû intervenir à de nombreuses reprises pour que les règles élémentaires de sûreté soient bien respectées. (...)
Selon une enquête menée par France Inter, l’électricien savait depuis 2005 qu’il y avait de graves dysfonctionnements au sein de la forge du Creusot, l’usine où a été fabriquée la cuve. Après moult contrôles, hésitations et négociations, l’ASN autorise, en octobre 2018, la mise en service et l’utilisation de la cuve du réacteur, sous réserve de la réalisation d’un programme d’essais de suivi de l’évolution de l’acier. Si les résultats de ces essais ne sont pas satisfaisants, EDF devra changer le couvercle de la cuve d’ici la fin de 2024. Un surcoût et un nouveau délai potentiel. (...)
L’ASN n’a pas encore autorisé l’utilisation de la cuve que d’autres défauts sont détectés, du côté des soudures cette fois. (...)
À ces divers problèmes engageant la sûreté on peut ajouter les conditions de travail très dégradées sur le chantier de l’EPR de Flamanville, où se sont pressés des milliers de travailleurs étrangers, parfois réellement malmenés. Il y a même été constaté du travail dissimulé, ce qui a valu à Bouygues une condamnation en 2015.
Qu’en est-il du côté de Taishan, en Chine, où deux réacteurs EPR sont d’ores et déjà en service. « Les nouvelles ne sont pas très bonnes », grince un agent de conduite. En juillet, EDF a annoncé des fuites de radioactivité dans le circuit primaire. On ne connaît pas encore précisément les raisons de cette hausse soudaine de radioactivité. (...)
un lanceur d’alerte qui suggère que cela pourrait venir d’un défaut de conception de la cuve de l’EPR. Défaut qui pourrait également toucher l’EPR de Flamanville.
Bientôt un « EPR2 » ?
Ces déboires n’ont pas entamé l’optimisme des partisans de la relance du nucléaire. (...)