
Le camouflet infligé à propos de la Syrie au premier ministre Cameron par la chambre des Communes est historique – le précédent en matière diplomatique et militaire remonte à 1782.
Il reflète une spectaculaire volonté d’émancipation, tant du leadership américain que du pouvoir exécutif. Un exécutif qui s’était tristement illustré dix ans auparavant avec le faux rapport Campbell sur les armes de destruction massive en Irak.
Ce vote pose d’ores et déjà la question de la pertinence de prétendre faire des démocraties occidentales les garants de l’application du droit international. Le parlement britannique n’a en effet pas rejeté la proposition de Cameron sous prétexte que l’information fournie ne serait pas encore suffisante ou que les faits ne seraient pas suffisamment avérés : la proposition prévoyait un nouveau débat après les conclusions des inspecteurs de l’ONU. Il a rejeté purement et simplement toute idée d’engagement militaire, quelle que soit la teneur des informations collectées. (...)
Pour pouvoir s’engager dans un tel conflit au nom du respect du droit, les démocraties occidentales ont besoin de trois ressources-clés :
- des informations fiables sur les faits,
- des objectifs clairement définis et raisonnablement atteignables,
- et… du temps pour débattre.
Or face au problème syrien ces démocraties ne disposent d’aucune de ces trois ressources. Elles se sont enfermées elles-mêmes dans un dilemme tragique entre nécessité d’intervenir pour sauver la face et impossibilité de le faire sans violer leur propre droit.
Ce flottement (qui est inhérent à l’exercice de la vie démocratique) constitue une spectaculaire et dommageable démonstration de faiblesse en matière diplomatique – et un effet d’aubaine pour les tyrans de toutes obédiences.
S’il n’y a aucune solution rationnelle au dilemme présenté par le cas syrien, cette absence de solution ne tient pas à la spécificité de la Syrie
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Ce n’est donc pas tant parce qu’il s’agit de la Syrie que nous rencontrons des difficultés, mais parce que le cadre de résolution des conflits dont nous disposons n’est pas le bon. Pour emprunter une métaphore, ce n’est pas la pierre qui est dure à tailler, c’est le maillet qui n’est pas approprié. (...)
Lorsqu’il y a coïncidence entre intérêt particulier et idéal universel, l’ingérence est permise ; lorsqu’il y a divergence, elle ne l’est pas.
Or ce modèle de résolution qui prospère depuis deux siècles ne convient plus à notre temps.
Sa principale faiblesse vient de la montée en puissance d’une démocratie d’opinion qui, obsédée par la crise et tétanisée par le coût des engagements, se montre toujours plus difficile à convaincre sur les questions internationales. Lorsque les opinions publiques ont tendance – comme c’est leur pente naturelle – à se focaliser sur la résolution de leurs problèmes internes et de court terme, tout repose alors sur la force d’entraînement des exécutifs.
Il est illusoire de faire dépendre l’application du droit international de cette seule force : outre qu’elle est elle-même indexée sur des facteurs (le charisme des dirigeants, leur popularité, la bonne ou la mauvaise santé de leur économie, etc.) qui n’ont rien à voir avec le sort des populations massacrées par leur tyran, les crises seront hélas bien plus fréquentes que les dirigeants de la trempe d’un Roosevelt. (...)
Il nous faut accélérer la montée en puissance du caractère contraignant du droit international. Nous ne devrions pas le faire par idéalisme mais au contraire par réalisme historique. Aucune puissance occidentale ne peut plus raisonnablement penser que l’âge des prés carrés et des marchés réservés est encore devant elle, lorsque l’emploi de la force, lui, demeurera toujours coûteux et aléatoire.
Nous avons besoin de dispositifs qui puissent être politiquement forts, impartiaux et efficaces et ces trois caractères ne peuvent provenir que de leur caractère régional. Au niveau global de fixer les règles. Au niveau régional de mobiliser les forces pour assurer leur application. (...)