
Un audit réalisé au Creusot Forge, l’usine du groupe Areva où sont forgés les gros composants des centrales nucléaires, a révélé l’existence d’irrégularités dans 430 dossiers « barrés ». Certaines s’apparentent à des falsifications. Deux réacteurs sont toujours à l’arrêt depuis ces découvertes et 6.000 dossiers d’archive sont encore en cours d’examen.
« C’est un iceberg dont nous nous apercevons qu’il prend des proportions impensables hier encore. » Jean-Claude Delalonde, président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), a tiré la sonnette d’alarme devant les participants de la 28e conférence des commissions locales d’information (CLI), le 16 novembre dernier. En avril 2016, 430 dossiers de fabrication irréguliers — des dossiers « barrés » — ont été découverts dans les archives de l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire), où sont forgés les gros composants en acier des réacteurs nucléaires.
Dans ces dossiers doivent être indiquées toutes les propriétés chimiques et mécaniques de la pièce – des caractéristiques décisives pour la sûreté des installations. L’usine du Creusot doit en fournir une copie à EDF et à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et en archiver un exemplaire. Problème : certains des dossiers barrés exhumés des placards du forgeron n’affichent pas les mêmes informations que les exemplaires transmis au client et au gendarme du nucléaire... 88 de ces écarts concernent des composants de réacteurs en fonctionnement forgés entre 1965 et 2012 et 19 le futur réacteur EPR de Flamanville 3. Pour Fessenheim 2 et Gravelines 5, les aberrations sont si préoccupantes que les réacteurs sont maintenus à l’arrêt. (...)
En juillet 2016, coup de tonnerre : d’autres anomalies ont été mises en lumière dans des documents qui ne présentent pas le double trait caractéristique des dossiers barrés. Ce sont donc désormais plus de 6.000 dossiers qu’Areva va devoir examiner, à la recherche d’omissions ou de résultats falsifiés. (...)
Les irrégularités constatées sont-elles graves ?
Cela dépend. « Il s’agit, dans beaucoup de cas, de manque de rigueur. Mais aussi, dans quelques cas, de manquements graves à la culture qualité, qui ont conduit à ne pas déclarer et traiter des écarts selon les procédures qui auraient dû être appliquées », a analysé le PDG d’Areva NP. Trois cas sont graves : Fessenheim 2, Flamanville 3 et Gravelines 5. (...)
Première besogne, examiner page par page les 6.000 dossiers de fabrication archivés au Creusot, « soit plus de 2,4 millions de pages », selon les calculs de M. Emond. « La direction a monté une task force, décrit Jean-Luc Mercier, délégué syndical CGT au Creusot Forge. Énormément de monde a été recruté en externe. On va en avoir au moins jusqu’à la fin de l’année prochaine. » Selon Les Échos, cinquante personnes sont à pied d’œuvre et autant doivent être recrutées. Areva a installé plusieurs centaines de mètres carrés de préfabriqués de bureaux dédiés à ces investigations à côté de l’usine.
Ces dossiers « seront analysés tout au long de 2017, soit environ 18 mois de travail, par un plateau projet situé à La Défense. (...)
Au-delà de l’examen de tous les dossiers archivés, une réflexion sur l’organisation du travail est en cours pour éviter que la situation ne se reproduise. (...)
L’organisation de la production se trouve elle aussi modifiée : le laboratoire où sont réalisés les premiers tests sur le lingot va déménager au plus près de la forge, pour éviter que des « coupons » (échantillons sur lesquels sont réalisés les tests) ne soient égarés au cours de longues allées et venues. (...)
Creusot Forge n’avait pas besoin de ces difficultés supplémentaires. Après une faillite retentissante de sa maison-mère, Creusot-Loire, en 1984, la forge du Creusot et sa presse avaient été rachetées par Arcelor. Ensuite, elle a intègré, en 2003, le groupe France-Essor, de Michel-Yves Bolloré (le frère de Vincent), puis le groupe Areva. Ce dernier, en proie à de graves problèmes financiers (2 milliards d’euros de perte en 2015 pour un chiffre d’affaires de 4,5 milliards) et dans l’optique d’une restructuration de ses activités, a récemment lancé un plan de départs volontaires dans l’usine. 71 personnes devraient quitter Creusot Forge d’ici à la fin 2017 sur un effectif de 275 CDI. « Avec ce plan de départs volontaires, on a des compétences qui partent. On nous demande de produire de la meilleure qualité avec moins de salariés. Enfin, les commandes ne sont plus là, même si le projet d’Hinkley Point devrait nous apporter un peu de travail. Comment va-t-on faire ? » s’inquiète M. Mercier.