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Mediapart
Au Sommet européen, une union de façade
Article mis en ligne le 12 mars 2022

Aux premières réactions fermes, les vingt-sept États membres préfèrent désormais des paroles de confort, et temporiser, renvoyant l’essentiel des mesures à plus tard, à d’autres sommets. Redoutant d’être entraînés dans une guerre contre la Russie, les pays de l’ouest européen surtout plaident pour qu’aucune décision susceptible d’aggraver la situation ne soit prise.

Le processus d’adhésion de l’Ukraine, réclamée par son président Volodymyr Zelensky et appuyée par la Pologne et les pays baltes, a été repoussé aux calendes grecques

En attendant, l’Europe s’est engagée à accueillir « temporairement » les réfugiés ukrainiens, à augmenter son aide pour la fourniture d’armes pour la porter à 1 milliard d’euros, et a promis de participer à la reconstruction du pays, après.

De la même manière, la question des sanctions a été éludée. Si tous sont d’accord pour allonger la liste des oligarques bannis, voire interdire la vodka et le caviar comme aux États-Unis, les pays membres ne sont pas parvenus à surmonter leurs divergences d’approche sur l’énergie, et sur les moyens de faire face ensemble.
Un choc d’une ampleur inattendue

« Les sanctions imposées à la Russie auront un coût pour l’Europe », avait prévenu Josep Borrell dès le lendemain des premières sanctions contre Moscou. Mais même s’ils en avaient conscience, beaucoup commencent à s’inquiéter de l’ampleur de la facture et surtout de sa vitesse de propagation. Et le choc risque de s’alourdir au fur et à mesure que le conflit se prolonge. Un coût dont les populations n’ont pas encore pris la pleine mesure. (...)

Des alarmes commencent à remonter de partout, des entreprises se disant dans l’incapacité de faire face aux hausses brutales des coûts de l’énergie ou d’approvisionnement. Tout le monde insiste sur le risque d’un effet domino.

Selon les prévisions de la Banque centrale européenne (BCE), l’inflation dans la zone euro pourrait dépasser les 7,1 % tout au long de l’année 2022 dans le pire de ses scénarios, trois fois plus que les objectifs fixés par l’institution monétaire. (...)

Le nœud gordien du gaz russe

Dès les débuts du sommet européen, la Pologne et les États baltes se sont faits les porte-parole des demandes du président ukrainien réclamant un embargo européen sur les hydrocarbures russes, à commencer par le gaz. (...)

Le sujet de toute façon a été tranché dès le début de la semaine, au moment où les États-Unis décidaient d’arrêter leurs achats de pétrole russe, par le chancelier allemand Olaf Scholz. « L’économie allemande ne peut pas se passer du gaz russe du jour au lendemain, avait-il expliqué. Il faut sortir de cette dépendance, mais cela ne se fait pas en un jour ni même en trois mois. » Plus du tiers des approvisionnements russes est utilisé par l’industrie allemande.

La Commission européenne s’est ralliée à cette position soutenue par tous les pays de l’Europe de l’Ouest et une partie de l’Europe centrale. En quelques semaines, tous les Européens ont appris leur degré de dépendance à l’égard du gaz russe, allant de 100 % pour des pays comme la Finlande et l’Autriche, jusqu’à 10 % pour l’Espagne, en passant par plus de 50 % pour l’Allemagne et l’Italie, et 23 % pour la France. (...)

La Commission européenne, cependant, souhaite sortir de cette dépendance le plus rapidement possible. Sa présidente, Ursula von der Leyen, a proposé de se passer de tous les hydrocarbures russes d’ici à 2027. Elle a d’ores et déjà fixé comme objectif une réduction des deux tiers des achats de gaz russe par l’Europe d’ici la fin de l’année. Un projet très – trop ? - ambitieux. L’Agence internationale de l’énergie estime que l’Europe peut réduire d’un tiers ou peut-être de la moitié ses achats de gaz russe dans l’année, mais guère plus.

Car comment trouver l’équivalent de 155 milliards de mètres cubes de gaz – c’est le volume fourni annuellement par la Russie - sur un marché mondial déjà plus que tendu ? La Commission s’est donné jusqu’en mai pour élaborer des solutions.

En attendant, tout le monde cherche des alternatives. Depuis trois semaines, les pays européens redécouvrent la géopolitique de la production du gaz et des réseaux de gazoducs. Norvège, États-Unis, Azerbaïdjan, Algérie, Qatar, tous sont prêts à acheter à n’importe quel pays pour remplacer le gaz russe. (...)

Mais l’Europe se retrouve en concurrence avec la Chine et le Japon, qui importent massivement du gaz naturel liquéfié (GNL) et ont passé des contrats à long terme avec les pays producteurs. Pour se faire une place, les pays européens risquent de devoir payer cher, très cher. (...)

Pour faire face et aider les pays les moins prospères, la Commission évoque la possibilité de mutualiser les achats gaziers, comme elle l’avait fait pour les vaccins au moment du Covid-19. Mais là encore, cette décision hautement stratégique a été laissée en suspens.

D’autant que cela suppose aussi d’adapter et de compléter les équipements existants. (...)

À la seule charge des États

Pour sortir de la dépendance russe à l’égard du gaz, mais aussi du pétrole et du charbon - chaque année, la Russie fournit 40 % environ du pétrole consommé en Europe et 46 % du charbon –, la seule solution pour la Commission européenne est d’accélérer la transition énergétique. Dressé dans l’urgence, son plan reprend les grandes lignes du plan climat européen qui prévoit d’obtenir la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Énergies renouvelables, déploiement accéléré des réseaux électriques, hydrogène, voitures électriques, isolation thermique : tous les dispositifs annoncés depuis des mois devraient à nouveau être mis en avant. Mais l’Europe y ajoute désormais le gaz, les capacités de stockage, les infrastructures gazières. Des projets qui ne s’inscrivent pas vraiment dans la suppression des énergies fossiles.

S’il est impératif, ce grand programme de transition énergétique ne répond pas à l’urgence de la guerre en Ukraine. (...)

Une nouvelle fois, la France a proposé de lancer l’idée d’un nouveau « plan de résilience », afin de permettre aux États membres de mutualiser leurs dettes au niveau européen « pour faire face ensemble ». Venant à l’appui de cette proposition, l’économiste Jean Pisani-Ferry a publié une étude estimant que le recours aux finances publiques, comme pour le Covid, s’imposait pour faire face aux conséquences de la guerre. (...)

le premier ministre néerlandais, toujours aussi vocal, avait dit tout le mal qu’il pensait de ce projet d’une nouvelle mutualisation de dettes : « Ce serait de l’argent qui ne servirait pas pour financer nos besoins mais ceux des autres. » Plus discrètement, l’Allemagne, la Finlande, le Danemark ont fait connaître leur opposition à ce projet, estimant que l’argent du plan de relance, qui n’a pas encore été totalement versé, suffisait amplement pour l’instant. Emmanuel Macron a donc rangé son idée, estimant que les esprits n’étaient pas encore mûrs.

Toute la charge du choc énergétique à l’œuvre est donc laissée aux États membres. La Commission européenne avait avant même le sommet indiqué qu’elle tolèrerait de multiples entorses au droit communautaire au vu des circonstances. Les gouvernements peuvent décider des plans d’aide pour les ménages et les entreprises les plus touchées, changer la fiscalité, imposer des surtaxes sur les profits des groupes énergétiques, instaurer un blocage des prix, sans encourir de sanctions.
Une normalisation monétaire à contretemps

Mais comment assumer de telles charges alors que les États sortent déjà très endettés de deux années de crise sanitaire et avec des économies fragilisées ? La prolongation d’un « quoi qu’il en coûte » pour nombre d’États membres semble déjà impossible, encore plus pour les pays de l’Europe centrale qui se trouvent aux premières loges de la guerre d’Ukraine, devant assumer l’arrivée par millions de réfugiés ukrainiens.

Même s’ils promettent des aides pour les pays d’accueil, les Vingt-Sept ont décidé de fermer les yeux sur l’essentiel de question. (...)

la BCE a décidé de changer de cap et de « normaliser » sa politique monétaire, en raison de la montée brutale de l’inflation, qualifiée de « temporaire » jusqu’alors. En clair, l’institution monétaire est en passe de retirer son soutien aux dettes souveraines des États membres, laissant les marchés arbitrer à sa place. (...)

Une décision prise à contretemps, au plus mauvais moment de fragilité pour l’Europe, disent des analystes. Certains se demandent même si la BCE n’est pas en train de commettre le même genre de faux pas que Jean-Claude Trichet, son président, en 2011. Inquiet de la chute de l’euro, celui-ci avait alors remonté par deux fois les taux dans l’année. De l’avis de tous les historiens monétaires, ce fut le déclencheur de la crise de l’euro et d’une décennie perdue pour l’Europe.

C’est peut-être le signal le plus inquiétant envoyé à la fois par la BCE et les Vingt-Sept de ces deux derniers jours : cette rigidité intellectuelle, cette incapacité d’imaginer d’autres schémas, d’autres modèles. (...)

passé le temps de l’émotion, ce sont les mêmes vieux réflexes, les mêmes divisions qui reviennent.