
Bientôt éradiquée de l’Inde, la polio progresse de l’autre côté de la frontière. La faute aux extrémistes qui, à Peshawar, attendent les campagnes de vaccination les armes à la main.
La moindre ruelle poussiéreuse du quartier est barrée d’unpolicier épaulé d’une kalachnikov. Depuis 6 heures du matin, et dans la fraîcheur de ce début février, ils sont plus de 4 000 déployés à Peshawar, au nord-ouest du Pakistan, pour le lancement de la campagne contre la polio.
Epinglé à leur gilet pare-balles, un morceau de papier avec ce simple mot « campagne ». (...)
Younas Zaheer, le coordinateur de cette campagne de vaccination à Peshawar, explique nerveusement :
« Ici, les vaccins anti-polio ont mauvaise presse. Nos équipes qui font du porte-à-porte ont peur de se faire tirer dessus. Du coup, on préfère parler de “campagne sanitaire” »
D’ailleurs, pour clarifier ce point, il préfère couper notre enregistreur.
35 vaccinateurs antipolios assassinés
Car à Peshawar, comme à travers tout le Pakistan, les équipes de terrain vont jusqu’à risquer leur vie pour administrer quelques gouttes de ce vaccin. Parce qu’ils la jugeaient trop risquée, des syndicats de professeurs sollicités ont ainsi refusé de prendre part à cette opération. (...)
En janvier, la ville de Peshawar a été pointée du doigt par l’OMS comme « plus grand réservoir de cas de polio » au monde. Cette maladie paralysante, qui se transmet par l’eau contaminée des canalisations ou des égouts, touche principalement les enfants de moins de 5 ans, cibles de la campagne qui débute. (...)
Ce qui apparaît encore plus préoccupant, c’est que le virus de la polio s’est exporté au cours des 18 derniers mois depuis le Pakistan vers l’Afghanistan et le Moyen-Orient. »
Il n’existe pas de remède pour guérir les victimes de la polio. En revanche, les vaccins, dont ceux distribués oralement à travers le pays, permettraient en théorie de faire chuter les chiffres du virus.
De la rumeur à l’attaque ciblée
Oui mais voilà, la polio se retrouve au Pakistan au cœur d’une guerre idéologique. Et les extrémistes, talibans en tête, sont au mieux rétifs à faire vacciner leurs enfants et véhiculent des rumeurs au sujet du remède, voire, au pire, orchestrent des attaques ciblant les campagnes de vaccination. (...)
Plusieurs motifs s’entremêlent :
– crainte d’espionnage camouflé. La traque d’Oussama ben Laden par la CIA s’est appuyée sur une campagne de vaccination ;
– rumeurs. Les plus diverses circulent sur le vaccin : il viserait à stériliser la population musulmane, il contiendrait du porc etc. ;
– chantage. Les talibans ont plusieurs fois décrété l’interdiction de campagnes anti-polio dans certaines régions du pays tant que dureraient les attaques de drones américains.
Cette image brouillée concourt donc à la méfiance vis-à-vis du vaccin et facilite la propagation du virus. Une aberration qui a même poussé certains dignitaires religieux à émettre des fatwas – un avis juridique – pour certifier de la qualité du vaccin et encourager les parents à vacciner leurs enfants. (...)