
« L’inertie, c’est fini ! ». Tel est le slogan qui marque le réveil des Premières nations canadiennes. Frappés par de graves inégalités et discriminations, menacés par la folie extractive de l’industrie pétrolière et minière, ignorés du gouvernement ultra-conservateur, peuples autochtones, métis et inuits du Canada sonnent la révolte sociale et écologique. Mené par des femmes, leur mouvement multiforme, Idle No More, s’étend des lointaines plaines glacées aux métropoles, en passant par les réseaux sociaux.
(...) Des cérémonies traditionnelles indiennes et des danses rituelles au coeur des centres commerciaux, pour sensibiliser le passant. Des petites silhouettes vêtues de gilets phosphorescents qui marchent le long des routes, avec quelques banderoles, dans le blanc de l’hiver canadien, puis dans la lumière du printemps. Ou des manifs toniques, au rythme des tambours, où l’on arbore plumes rouges et pattes d’ours. Et aussi des blocages d’autoroute et des grèves de la faim. Du folklore ? Non, un vaste mouvement social qui commence à fédérer les Premières nations canadiennes. Soit un million de personnes (...)
Son objectif : empêcher le gouvernement ultra-conservateur canadien de détruire ressources et environnement, et combattre inégalités et discriminations. Le défi est d’ampleur.
Le mouvement a été fondé à l’automne 2012 par quatre femmes, dont deux autochtones, dans la province de la Saskatchewan, à l’ouest du Canada. C’est encore une femme qui permet sa médiatisation et son entrée sur la scène publique : Theresa Spence, une cheffe de la réserve d’Attawapiskat (Ontario), qui mène un jeûne de six semaines dans un tipi à deux pas du Parlement d’Ottawa [2]. Theresa Spence s’était déjà illustrée, en 2011, en décrétant l’état d’urgence dans sa réserve devant l’insalubrité des abris, sans eau ni électricité, où des familles entières vivaient dans le froid. (...)
Beaucoup sont victimes de violences domestiques dans les réserves, et d’assassinats dans les grandes villes de l’ouest du pays, où les plus défavorisées se prostituent. En matière sociale, la liste de leurs revendications est donc longue : communautés vivant dans la misère malgré les subventions, alcoolisme extrême, dépressions, suicides au moins trois fois plus nombreux que dans le reste de la population...
Sans oublier le « syndrome des pensionnats », du nom de la politique d’État qui en 150 ans a enlevé plus de 150 000 enfants autochtones à leurs parents pour les placer dans des pensionnats où régnait la maltraitance. Le but : « Tuer l’Indien en eux ». Le gouvernement canadien s’en était excusé en 2008. L’ancien Premier ministre Paul Martin vient de qualifier cette politique de « génocide culturel » [4]. (...)
C’est par ses mobilisations écologistes que le mouvement s’illustre. Sa priorité est de lutter contre les lois anti-environnementales du gouvernement de Stephen Harper, le Premier ministre canadien. Fin 2012, sous la pression avérée de l’industrie des oléoducs (l’Association canadienne de pipelines d’énergie), et indirectement des grandes compagnies pétrolières présentes en Alberta – dont Total, qui y exploite les sables bitumineux –, le gouvernement a réduit comme peau de chagrin la protection des milliers de lacs et rivières du pays. Il a également limité les processus d’évaluation environnementale préalables à l’exploitation de ressources naturelles, et diminué la possibilité pour les Premières nations d’être consultées sur ces questions. (...)
Idle No More est plus qu’un mouvement. C’est également une forme de thérapie collective, charriant une fierté identitaire qui relève de la survie, tant la culture des Premières nations a été méthodiquement annihilée. Les marcheurs du « Chemin des êtres humains », dont certains étaient dépressifs et toxicomanes, comme de nombreux jeunes Autochtones, ont dit combien la marche, inspirée par les longs trajets à pied que leurs ancêtres accomplissaient pour commercer, avait eu un rôle thérapeutique et identitaire. « Ce mouvement me décolonise moi-même », commente Widia Larivière, qui a ressorti pour les manifestations un petit tambourin offert par sa mère qu’elle n’avait jamais utilisé. (...)