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Attentats : « Cet événement nous rappelle à quel point la parole et donner du sens sont essentiels »
Article mis en ligne le 22 janvier 2015
dernière modification le 19 janvier 2015

Depuis dix jours, la consommation de psychotropes aurait augmenté en France. Les attentats ont provoqué un choc traumatique, d’autant plus important qu’il s’agit d’attaques ciblées. Et les Français – y compris les enfants – ont été très exposés aux images télévisées, souvent en direct, via les chaines d’information en continu. Au-delà des analyses politiques, quelles seront les conséquences psychologiques de ce traumatisme collectif ? Entretien avec Hélène Romano, docteur en psychopathologie, spécialiste des psycho-traumatismes et du suivi de victimes au CHU de Créteil.

(...) Cette confrontation avec la mort est entrée dans notre quotidien avec une proximité effrayante : ce ne sont pas des morts à l’autre bout du monde, mais à côté de chez nous, ce qui majore de manière importante les conséquences psycho-traumatiques.

Le fait que tout ait été vécu en direct, avec les chaines d’informations en continu, change donc la perception, l’onde de choc ressentie ?

Cela change beaucoup de choses. Les télévisions d’information en continu diffusent les images quasiment en même temps qu’elles les reçoivent. Nous ne sommes plus face à des journalistes qui décryptent les images et les complètent par des informations, mais face à des commentateurs. L’absence de décryptage de l’image provoque des conséquences très complexes. Les parents ne devraient pas laisser les enfants seuls devant les images sans être présents pour en parler avec eux. En plus, ces chaines reprennent une partie des discours, mais pas la totalité, ce qui contribue à les couper de leurs contextes. Depuis l’apparition des chaînes d’info en continu nous leur disons de faire attention. (...)

Ce qui change la donne, c’est le symbole que les victimes représentaient. Des millions de personnes n’avaient pas forcément entendu parler de Charb ou de Wolinski… Plus que les personnes, c’est le symbole qui a bouleversé les Français. Un symbole qui en plus était protégé – des gens ont été tués alors qu’ils bénéficiaient d’une protection policière. Cela crée un double impact, une angoisse supplémentaire. Si les victimes de l’équipe de Charlie Hebdo avaient été tuées lors d’un déplacement dans un pays en guerre, en Afghanistan par exemple, l’impact n’aurait probablement pas été aussi fort. (...)

La population a été confrontée à des événements très violents et a réagi de façon adaptée. L’émotion n’est pas négative. Elle est d’autant plus normale que les gens s’identifient aux victimes, par leurs convictions, par une appartenance communautaire ou religieuse, ou du fait que cela touche tout le monde : chacun aurait pu mourir en faisant ses courses. Il aurait été intéressant de faire la même étude sur l’augmentation des ventes de psychotropes au moment du 11 septembre, ou après l’accident de train de Brétigny-sur-Orge. Beaucoup de personnes qui prennent le train ou le RER étaient anxieuses la semaine suivante.

Qu’il y ait une augmentation de la consommation de psychotropes n’est pas étonnante. Réagir avec de l’angoisse, de la peur, de la tristesse après un événement traumatique, c’est très adapté. D’autant qu’en France, nous sommes les champions de la consommation d’anxiolytiques à tout-va. Ce qui est important, c’est de ne pas le psychiatriser. On a tendance, quand on vit des choses compliquées, à s’imaginer qu’à un moment, c’est fini, tout va bien. Des gens endeuillés vont alors voir leur médecin et se retrouvent chargés comme des mules d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, de somnifères. Pleurer, être triste, est complètement normal. Durant le premier mois, ces réactions sont tout à fait adaptées, il ne faut pas psychiatriser.

On sent aussi un besoin de parler, d’analyser, de trouver du sens à ces événements…

C’est une réaction normale. Cet événement nous rappelle à quel point la parole, la mise en sens, la mise en pensée est essentielle. Vous pouvez shooter tous les Français avec des somnifères, des anxiolytiques, cela ne va pas régler sur le long terme les causes de l’angoisse. Pour les problèmes de trauma, un médicament peut aider, mais ne peut jamais tout régler. C’est plutôt sain que les gens parlent, aient besoin de témoigner. À condition qu’ils soient écoutés, entendus, compris. C’est plus compliqué s’ils ne le sont pas.

La participation à des grandes mobilisations, comme celles des 10 et 11 janvier, est-elle aussi thérapeutique ? Faut-il être dans l’action pour reprendre le contrôle ?

La cérémonie collective est un espace de ritualisation. Le groupe social a été mis en danger, mis à mal par ces attentats. Le fait de défiler ensemble va ressouder le groupe : on va montrer qu’on n’est pas seul, qu’on est un groupe solidaire qui a un minimum d’intérêt commun pour faire force. Le rituel collectif a une dimension thérapeutique – le dimanche 11 janvier au soir, après la grande mobilisation, les gens étaient heureux, soulagés. Cela a été un moment de calme, une petite bulle de calme après le drame, où les gens ne restaient plus passifs. Ils étaient dans le recueil et l’hommage. Mais une fois que les corps sont enterrés, une fois que tout cela s’apaise, il y a le vide. Et il peut y avoir alors beaucoup de violence. (...)