Alors que la justice rendra bientôt son jugement dans l’affaire qui oppose six ONG à TotalEnergies, la Cellule investigation et la rédaction internationale de Radio France ont enquêté avec la rédaction de RFI sur les conséquences de son projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie.
Le Nil majestueux ondule au cœur d’une forêt verdoyante… C’est ici, dans la région du lac Albert, au Nord-Ouest de l’Ouganda, que TotalEnergies extraira le précieux or noir. Les travaux ont débuté. Des tractopelles retournent la savane. Au sommet des talus de terres rouges destinés à atténuer le bruit des engins, des antilopes curieuses viennent observer les chantiers.
En Ouganda, les réserves de pétrole sont évaluées à 6,5 milliards de barils, dont 1,4 milliard serait exploitable. Lorsque la production aura atteint sa vitesse de croisière, près de 200 000 barils de pétrole par jour devraient être exportés. Pour atteindre cet objectif, le projet, dont Total est l’actionnaire majoritaire, se décompose en deux volets. Le premier, Tilenga, concerne le pompage et le traitement du pétrole. 31 zones d’extractions sont prévues, pour un total de 426 puits, ainsi qu’une usine de traitement. Le second volet, le East African Crude Oil Pipeline (EACOP), se concrétisera par la réalisation d’un pipeline enterré sur plus de 1 440 kilomètres. Le plus long oléoduc chauffé au monde. (...)
Une zone naturelle sensible menacée
Problème : l’extraction pétrolière aura lieu en partie dans le parc des Murchison Falls, un site classé de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Composé d’une faune et d’une flore très riches, on y trouve des lions, des éléphants, des girafes, des buffles, des antilopes… 144 espèces de mammifères, plus de 500 espèces d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens y sont recensés. En Ouganda, c’est le parc le plus visité. Or, l’entreprise s’est vu attribuer 10% des 3 840 km² qui le composent.
Développer une activité pétrolière dans une zone aussi sensible inquiète donc des ONG et une partie de la société civile. (...)
Des forages horizontaux (...)
L’organisation américaine spécialisée E-tech, qui apporte un soutien technique aux communautés concernées par des grands projets de développement, considère cependant que 10 plateformes, c’est encore trop. "Dans le parc, il faudrait réduire le nombre de plateformes à une seule, et forer depuis l’extérieur du parc", affirme Bill Powers, l’ingénieur en chef d’E-tech. Une préconisation que TotalEnergies affirme intenable techniquement (...)
D’autres inquiétudes portent sur les éventuels effets induits par le projet. Une grosse route bitumée traverse déjà le parc. Un contributeur du rapport de 2017 du WWF estime que le pipeline pourrait constituer "une porte d’entrée pour l’expansion du secteur pétrolier" dans la région. Une fois construit, d’autres entreprises pourraient être tentées d’investir et de mener des activités de prospection, multipliant ainsi les risques pour l’environnement. Et de fait, on compte parmi les projets déjà planifiés dans la région, la création d’un aéroport et d’une raffinerie pour un usage local du pétrole.
Un pipeline en bordure d’un parc national (...)
D’autres inquiétudes portent sur les éventuels effets induits par le projet. Une grosse route bitumée traverse déjà le parc. Un contributeur du rapport de 2017 du WWF estime que le pipeline pourrait constituer "une porte d’entrée pour l’expansion du secteur pétrolier" dans la région. Une fois construit, d’autres entreprises pourraient être tentées d’investir et de mener des activités de prospection, multipliant ainsi les risques pour l’environnement. Et de fait, on compte parmi les projets déjà planifiés dans la région, la création d’un aéroport et d’une raffinerie pour un usage local du pétrole.
Un pipeline en bordure d’un parc national (...)
Selon la Banque mondiale, 40 millions de personnes vivent sur ces abords. Et là encore, les ONG alertent : tout incident pourrait avoir un impact sérieux pour l’ensemble de la région. (...)
Le pipeline va ensuite traverser la Tanzanie sur plus de 1 000 kilomètres pour déboucher sur l’océan Indien. De quoi inquiéter, à nouveau, puisque ce pays est lui aussi réputé pour la richesse de ses paysages et sa faune sauvage (...)
Total reconnaît pourtant que le pétrole transitera par certaines réserves, y compris un parc national dans la région de Burigi-Biharamulo, au Nord-Ouest de la Tanzanie. (...)
Une déforestation déjà massive
Pour implanter le pipeline, les engins de chantier vont déboiser un couloir de 30 mètres de large, l’équivalent d’une grosse autoroute, à travers tout le pays. (...)
Au bout du tracé, il y a l’océan Indien. Là, le pétrole sera stocké dans la région de Tanga, en bord de mer, près de la frontière kenyane. Les travaux ont déjà commencé. Des engins de chantier font disparaître la végétation. Il ne reste plus qu’une terre ocre et, çà et là, quelques baobabs. Sur ce terrain de 72 hectares, quatre réservoirs de 20 mètres de haut et 80 mètres de diamètre, vont être installés. (...)
Dans cette région parsemée de mangroves, les inquiétudes sont fortes. Selon le militant écologiste Richard Senkondo, d’éventuelles "fuites affecteraient tout l’écosystème local, la vie des poissons, des microorganismes. La construction de la jetée va aussi endommager les récifs coralliens qui sont très sensibles". (...)
Des familles déplacées
Pour mener à bien son projet, TotalEnergies doit utiliser des terres sur lesquelles les populations vivent et cultivent. En tout, plus de 100 000 personnes sont affectées par le projet selon les ONG, certaines parce qu’elles perdent un simple bout de terrain, mais d’autres parce qu’elles doivent être relogées. TotalEnergies préfère souvent parler de 19 000 foyers, bien que chacun d’entre eux comprenne plusieurs personnes. Quant au PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, il évoquait le 9 novembre dernier devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le nombre de 769 foyers déplacés.
TotalEnergies prévoit le relogement de certaines familles dans des maisons en dur en cas de destruction de l’habitation principale, ou une indemnisation financière. Une situation parfois vécue douloureusement. Ainsi, Jealousy Mugisha, un fermier ougandais de 50 ans, père de sept enfants, a vu sa hutte classée comme un lieu d’habitat secondaire. Pour sa destruction, il n’a donc eu droit qu’à une compensation financière. "Notre terre a été saisie et clôturée", dit-il. Selon lui, "le processus n’est pas juste, il n’a été qu’intimidation et harcèlement". Mais il est l’un des rares à avoir attaqué cette décision, car les procédures sont longues, compliquées et coûteuses pour les habitants de ces communautés rurales, peu éduquées et souvent relativement pauvres. (...)
"La vie est devenue plus difficile"
La majorité des Ougandais a fini par accepter la cession de ses terres, tout en formulant de nombreuses critiques sur le déroulement des procédures. (...)
Mais une certaine amertume reste palpable. Pour Maxwell Atuhura, un activiste originaire de la zone pétrolière : "Il n’y a rien que Total puisse compenser qui soit équivalent à ce que les gens perdent. On m’indemnise pour ma terre, mais pas pour la perte de mon moyen de subsistance." Et ce ressenti, on le constate aussi en Tanzanie. (...)
L’opération communication de Total
Beaucoup critiquée pour le manque d’informations données aux populations locales lors du lancement du projet, TotalEnergies cherche désormais à rectifier le tir. Dans la ville d’Arusha, au Nord de la Tanzanie, il rassemble régulièrement les représentants des ethnies dites vulnérables : Barabaigs et Massaïs notamment. (...)
Dans la salle, des traducteurs se chargent de faciliter les échanges. Et le public ne semble pas réfractaire au projet. "Les pluies diminuent, nous manquons d’eau pour nos bêtes", déplore le leader massaï Rafaele Mangole. Mais s’il souffre des effets du changement climatique, il ne les relie pas à l’impact des activités pétrolières. (...)
L’espoir des populations
En dépit de tous ces constats, le projet suscite des espoirs dans la population. En Ouganda, l’argent généré par le projet devrait être affecté à un fonds spécial pour financer les infrastructures publiques. Selon Fred Kabagambe Kaliisa, le conseiller spécial du président ougandais sur les questions du pétrole, il devrait être utilisé "pour le développement des routes, des infrastructures électriques, pour les services publics et l’éducation." En Tanzanie, aussi, certains habitants rêvent de décrocher un emploi. (...)
Résultat : les ONG qui combattent le projet sont souvent perçues comme des "empêcheurs d’enrichissement". Mais cette vision des choses, l’activiste Baracka Lenga la regrette. "Nous ne pouvons pas nous réjouir de gagner de l’argent sur le dos de la planète. Nous avons déjà un problème avec les pluies. Le niveau des rivières a baissé à cause du changement climatique. Ce projet va aggraver cette crise. Or, dans les zones rurales, 99% des gens dépendent de la pluie pour cultiver. On va détruire leur gagne-pain. Comment vont-ils survivre ?"