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Astrophysicien et militant climatique : « L’analyse des faits scientifiques pousse à être écologiste »
#urgenceclimatique #désobéissancecivile
Article mis en ligne le 10 novembre 2022

Après une manifestation au siège de BMW, dans le showroom de leurs voitures de luxe, le 29 octobre à Munich, quinze membres du collectif international Scientist Rebellion (Scientifiques en rébellion) ont été placés en détention préventive en Allemagne. Treize d’entre eux sont restés incarcérés pendant plusieurs jours.

Les actions du collectif des Scientifiques en rébellion se multiplient en Allemagne ou en France, pour alerter sur la nécessité de prendre des mesures immédiates contre les effets actuels et futurs de la crise climatique. Ils et elles demandent, entre autres, la réduction des émissions de CO2 du secteur des transports.

Parmi les scientifiques emprisonnés à Munich, Jérôme Guilet est un astrophysicien français. Il travaille au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), et s’engage par ailleurs pour le climat depuis plusieurs années. Il est déjà passé en procès l’année dernière en France pour avoir participé à une action d’Alternatiba à l’aéroport de Roissy. Basta a choisi de l’interviewer.

basta ! : Quel lien faites-vous entre votre activité scientifique et votre engagement pour le climat ?

Jérôme Guilet [1] : Ça fait quatre ans que j’ai commencé à m’engager collectivement pour le climat, au-delà de changer mes habitudes personnelles. Je me suis penché plus attentivement sur les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) et j’ai perçu une responsabilité d’agir en tant que scientifique. C’est plus facile pour moi de lire un rapport du Giec que pour quelqu’un qui n’a pas de formation scientifique, même si je ne suis pas climatologue.

J’ai commencé par faire de la sensibilisation. Dans mon laboratoire, on organisait des séminaires internes pour alerter les chercheurs sur la question climatique. L’objectif était d’impulser une démarche pour tenter de réduire nos propres émissions au sein du laboratoire. Je fais également de la sensibilisation au sein de l’association végétarienne de France sur l’impact environnemental de l’alimentation, de l’élevage en particulier. C’est quelque chose auquel je suis également attaché.

Le deuxième volet de mon engagement, ce sont ces actions de désobéissance civile, depuis trois ans et demi, d’abord au sein d’Alternatiba, ensuite au sein de Scientifiques en rébellion. Ce collectif s’est créé en France, à la suite d’une tribune de scientifiques qui appelaient à la désobéissance civile, publiée dans Le Monde en février 2020. (...)

Jugez-vous que les scientifiques ne s’engagent pas assez pour le climat ?

Cela serait mieux si plus de scientifiques prenaient position, de la façon qui leur convient le mieux, ça peut être de la sensibilisation, des actions de désobéissance civile, pourquoi pas de la politique aussi. Il y a des façons différentes d’être utile sur la question. Cela fait, selon moi, partie de nos missions d’informer et de tirer la sonnette d’alarme quand un problème se profile. Mais j’ai l’impression que de plus en plus de scientifiques s’engagent aujourd’hui, que le mouvement grandit. (...)

Cet idéal de neutralité est toujours une question qui se pose. En me penchant sur le sujet, je me suis aperçu, et c’est l’avis d’un certain nombre de scientifiques aussi, que cet idéal de neutralité est illusoire. Nous sommes imbriqués dans la société, nos recherches ont des conséquences sur la société. (...)

La vraie exigence, c’est de ne pas utiliser notre position de scientifique pour imposer des opinions qui ne seraient pas basées sur des faits scientifiques. C’est une exigence d’honnêteté intellectuelle et d’exactitude : respecter la méthode scientifique, avoir un raisonnement sain, ne pas manipuler les faits. (...)

L’un des objectifs est de sensibiliser, de faire que cette question du climat ne puisse plus être évitée dans le débat public. Je pense cependant que cela va au-delà. Nous avons aussi l’objectif d’établir un rapport de force, notamment quand on vise une entreprise en particulier. (...)

Il ne faut pas sous-estimer le rapport de force. Il y a des faits scientifiques établis, mais la raison pour laquelle cela ne suffit pas, c’est qu’il y a beaucoup de résistances au changement, notamment de la part d’intérêts économiques. Si on veut arriver à des changements, il faut s’attaquer à ces intérêts. (...)

. L’élevage est sous-considéré par rapport à son impact écologique. C’est pour cela que je m’engage aussi au sein l’association végétarienne de France. Pour donner un exemple, l’année dernière, il y a eu une déclaration internationale pour réduire les émissions de méthane. L’un des très gros postes d’émissions de méthane, c’est l’élevage. Pourtant, dans les actions nécessaires mentionnées dans cette déclaration, l’élevage n’était même pas évoqué. Ce qui était mis en avant, c’était qu’il fallait s’attaquer aux fuites sur les gazoducs ou se préoccuper des décharges, qui sont effectivement des sources de méthane. Le poste dominant de l’élevage était en revanche occulté. J’essaie d’œuvrer aussi pour que cet aspect soit plus discuté.

Sur l’action de la semaine passée, nous avons choisi d’aller en Allemagne, car c’est un pays dont la voix porte en Europe. S’il y a un changement en Allemagne, ça peut diffuser dans le reste de l’Union européenne. Le secteur des transports y est crucial, car l’industrie automobile y est très puissante. (...)

Le placement en détention n’a pas été une surprise pour nous, nous nous y étions préparés. Je pensais bien que j’allais probablement finir en prison pour cette action. Jusqu’ici, j’avais déjà été en garde à vue pour une action (sur le tarmac de l’aéroport de Roissy, en octobre 2020, ndlr). (...)

Cela vous a-t-il découragé ou donné envie de continuer ?

J’ai bien l’intention de continuer. Nous avons reçu énormément de soutien pendant ces quatre jours, des lettres, des mails. Ça donne beaucoup de baume au cœur, de courage, ça donne envie de poursuivre le combat. Même si c’est vrai que ça m’a pris pas mal d’énergie et de temps ces deux dernières semaines. Je ne vais pas arrêter, c’est sûr, mais je vais devoir aussi me remettre à mon travail. (...)

L’analyse des faits scientifiques pousse à être écologiste. Il y a des faits clairement établis qui montrent qu’on exploite beaucoup plus les ressources naturelles que ce qui serait soutenable. Il y a une accumulation de faits scientifiques indéniables qui montrent qu’il y a un changement climatique d’origine humaine et qu’il est catastrophique.