
Le photographe grec Aris Messinis, sacré au festival Visa pour l’image, raconte à "l’Obs" son travail au long cours sur les migrants en Grèce.
Il a vu la Libye en guerre, la Syrie en sang. Mais c’est pour son travail poignant dans sa Grèce natale, sur les rives de Lesbos touchées par des vagues de réfugiés, que le photographe Aris Messinis s’est vu décerner à Perpignan le Visa d’or, prestigieuse récompense du photojournalisme.
Nous le rencontrons au lendemain de son succès. A la faveur d’un bref passage à Paris, il rend visite à la rédaction de l’AFP, où "l’Obs" va le retrouver. L’homme, teint hâlé et sourire modeste, fait sensation. Pas une salle, pas un couloir sans qu’un journaliste de l’agence ne l’arrête pour lui dire son estime. À 39 ans, "Aris" est une référence dans la maison, et un monstre du photojournalisme. Avant de prendre la route de l’aéroport, il a répondu aux questions de "l’Obs".
Êtes-vous heureux de votre récompense à Visa pour l’image ?
C’est un grand honneur, une reconnaissance pour mon travail. Heureux ? Le terme n’est pas forcément approprié, de la même manière qu’il est étrange dire d’une photo qu’elle est "belle" alors qu’elle montre la souffrance ou la mort. (...)
Beaucoup de gens n’ont probablement aucune idée de ce que l’on voit à Lesbos. Je ne suis pas sûr non plus qu’ils réalisent qu’il y a une guerre en Syrie, et donc qu’ils comprennent les origines de la crise. Pour ma part, j’essaie de capturer la réalité, peu importe sa dureté, pour que les spectateurs puissent au moins se faire une idée de la situation. (...)
Nous parlons de gens qui fuient la guerre, et qui meurent dans un pays en paix... (Il répète) Nous parlons de gens qui fuient la guerre, et qui meurent dans un pays en paix. Ils survivent à la guerre et meurent dans la paix ! Devoir couvrir cela au quotidien, c’est terrible. (...)
La vie n’est pas si facile. Elle est dure. Les humains, eux, ne sont pas seulement des gentils. Voilà ce que je cherche à faire avec ce genre d’images : à vous choquer, vous faire sentir mal, vous faire pleurer, vous mettre en colère... Tout cela pour faire évoluer votre manière de penser, en vous mettant face à ce qu’il se passe. (...)
Quelqu’un qui fait de l’argent n’est pas un bénévole. Il y a des gens qui créent de petites ONG et qui vont là-bas pour gagner de l’argent. Ils postent sur Facebook des photos où ils portent des bébés, pour montrer qu’ils sont sur place et récolter des dons. C’est un business très sombre. Certains vont jusqu’à se mettre en contact avec les passeurs pour se coordonner avec eux. Et quand quelque chose de louche se produit, ils ne veulent pas de preuves, et donc pas de photojournalistes.
Des bénévoles ont voulu me faire quitter de force une plage publique ! Je vis dans un pays libre, personne ne peut m’obliger à partir. Comme je refusais, ils ont commencé à me frapper. Mais c’est une bonne chose que cela soit arrivé, cela a permis à d’autres personnes de prendre conscience de ce qui se tramait à Lesbos. Heureusement, la plupart des ONG travaillent de manière sérieuse.