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Mediapart
Après le cessez-le-feu, Gaza mesure sa destruction
Article mis en ligne le 24 mai 2021

Deux jours après le cessez-le-feu, les Gazaouis sortent et prennent la mesure de l’étendue des dégâts. Les frappes israéliennes pendant cette quatrième guerre ont provoqué des destructions massives dans l’enclave palestinienne. Gaza manque de tout. La reconstruction s’annonce longue et celle de ses habitants encore plus.

« Mon frère était en fauteuil roulant. Il n’a rien à voir avec la politique, il n’a rien à voir avec le Hamas, il était au chômage. Et sa femme ? Et sa fille ? Ce sont des gens qui n’ont pas d’histoire », assure, d’une voix encore tremblante, Omar Saleha. Ce mercredi, pile à l’heure du déjeuner, les trois pièces de l’appartement de son frère, à Deir el-Balah, ont explosé sous les bombardements de l’armée israélienne. Toute la famille était à l’intérieur : Eyad Saleha, 33 ans, handicapé et incapable de marcher depuis quatorze ans, sa femme, Amani, 33 ans, enceinte, et leur fille de 3 ans, Nagham. Tous sont morts sur le coup. (...)

Personne, dans la rue, ne sait pourquoi ce bâtiment a été visé. Combien de civils, comme eux, ont dû mourir avant que tout cela ne cesse ? » (...)

Depuis, le calme est revenu dans l’enclave côtière sous blocus israélien depuis 2007. Le cessez-le-feu – entré en vigueur vendredi à 2 heures du matin – tient. Les rues de Gaza ressemblent pourtant à des scènes de guerre. Las d’être restés cloîtrés ces derniers jours, les Gazaouis sortent, prennent des photos de l’étendue des dégâts. « Les rues sont méconnaissables », nous dit Khaled Elhammami, montrant via FaceTime l’énorme trou laissé par l’impact d’un missile à côté de son immeuble. Il y a des cratères dans les routes, une montagne de gravats à la place des bâtiments ou des plaques de béton, seule chose qui reste de la façade de certaines maisons.

Les habitants compensent, certains vont à la plage, d’autres se retrouvent en famille pour « tenter de fêter l’Aïd el-Fitr en décalé », porter les vêtements qu’ils avaient achetés pour l’occasion quelques jours avant les bombardements. « Ce midi, on voulait aller au restaurant en famille, mais à la place de la longue file d’attente, on a vu seulement des débris », continue-t-il. Il y a aussi ceux qui n’ont nulle part où aller, qui cherchent parmi les décombres, tentant de récupérer des photos, des livres ou des ustensiles de cuisine ; ceux qui ont perdu un membre de la famille organisent l’azâ, plaçant des chaises de plastique devant leur domicile ou une petite tente pour accueillir leurs proches venus présenter leurs condoléances. En tout, 248 Palestiniens sont morts, dont 66 enfants.

Parfois, ce sont des familles entières – comme celle d’Eyad Saleha – qui ont été tuées sous les bombes (...)

La reconstruction sera longue – 1 800 maisons complètement démolies, 16 800 partiellement endommagées – et il faudra de l’argent. La reconstruction psychologique des habitants prendra, elle, encore plus de temps. « Quand l’aviation israélienne bombardait, on sentait leur colère, leur violence. Comme s’ils prenaient leur revanche, se souvient Malak Mattar, qui, à 21 ans, précise avoir survécu à sa quatrième guerre à Gaza. Ce n’était pas comme s’ils visaient une maison et qu’ils partaient, il y avait parfois des salves de frappes par cinquantaine. Pendant l’offensive, je n’ai jamais réussi à dormir en continu. Il y avait le son des bombes, toujours trop prêt, et celui des drones en permanence. Après la guerre de 2014, j’ai mis sept ans à panser mes blessures, psychologiquement. Là, tout est revenu, de manière plus intense. »

Le pire, pour Adam Almadhoon, 28 ans, du camp de réfugié de Jabalia, « c’était l’odeur de la mort. Elle était partout, elle ne te quitte pas et te perturbe pendant de longues heures. Il y avait aussi cette peur, chaque jour, celle de voir ta famille dans la liste des personnes décédées du jour ».

À l’hôpital Al-Shifa, le plus grand de la bande de Gaza, le personnel est débordé ; 1 948 personnes sont blessées. « La situation est vraiment très compliquée, confie le docteur Mohammad Abu Selmiyeh, directeur de l’hôpital. Ces derniers jours, on entendait des bombes partout, des avions partout, et ça a été les nuits les plus dures qu’on a vécues. Il y avait tous ces morts, il y avait aussi toutes ces personnes encore vivantes que les secouristes entendaient encore crier sous les décombres, essayant de les sauver… à temps. »

Il précise : à Gaza, la situation sanitaire était, de toute façon, déjà désastreuse avant les bombardements. Le blocus israélien a privé les structures de santé d’un grand nombre de ressources ; quant à la pandémie de Covid-19, elle a davantage affecté la pénurie de médicaments, de personnel et d’équipements médicaux en tout genre. (...)