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Reporterre
Après l’arrêt définitif de la centrale de Fessenheim, beaucoup de questions subsistent
Article mis en ligne le 30 juin 2020

Dans la nuit de lundi 29 juin, le deuxième réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim sera définitivement arrêté. Quelles sont les conséquences sociales de cette fermeture ? Comment se déroulera le démantèlement ? Quel avenir pour le site ? Reporterre fait le point.

Il aura fallu huit ans. En 2012, François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, promettait de fermer la doyenne des centrales nucléaires françaises, d’ici la fin de son mandat – conformément à un accord signé entre le Parti socialiste (PS) et Europe Écologie — Les Verts en novembre 2011. Une fois élu, il n’avait fait que repousser l’échéance, notamment en conditionnant l’arrêt de Fessenheim à la mise en service de l’EPR de Flamanville. C’est finalement Emmanuel Macron qui, reprenant à son compte les objectifs de la loi de transition énergétique de 2015, a tranché (...)

EDF et les opposants à cette fermeture – certains élus locaux et les salariés de la centrale en tête – ont fustigé une décision politique sacrifiant un équipement en parfait état de fonctionnement et rentable. Faux, répliquent les antinucléaires. « La centrale accumule les problèmes non résolus (...)

Après l’accident nucléaire de Fukushima, l’ASN [Autorité de sûreté nucléaire] a imposé une remise à niveau des équipements de sûreté de toutes les centrales françaises. EDF s’est vu imposer de renforcer et rendre étanche le radier – le socle en béton sur lequel repose le réacteur et censé faire barrière avec le sous-sol en cas de fusion du cœur et de déversement du magma radioactif hors de la cuve – qui ne faisait qu’un mètre et demi d’épaisseur. Coincé par un manque de place au-dessus et la plus grande nappe phréatique d’Europe en-dessous, il n’a pu rajouter que cinquante centimètres de béton. EDF savait que ça ne suffirait pas pour que la centrale réussisse sa quatrième visite décennale et continue à fonctionner au-delà de ses quarante ans, et a accepté de la fermer. » (...)

L’électricien a tout de même négocié de généreuses indemnisations. Le contrat qu’il a signé avec l’État comporte deux volets : 400 millions d’euros versés « sur une période de quatre ans suivant la fermeture de la centrale », comprenant notamment les dépenses de post-exploitation ainsi que les coûts de démantèlement et de reconversion du personnel, et d’autres versements ultérieurs, chiffrés à environ 4 milliards d’euros selon le réseau Sortir du nucléaire, censés couvrir un « éventuel manque à gagner » incluant « les bénéfices qu’auraient apportés les volumes de production futurs (...) jusqu’en 2041 », selon EDF. Ulcérées par cette clause qui tablait sur un fonctionnement de Fessenheim jusqu’à ses 64 ans, des associations écologistes ont déposé une plainte en novembre 2019 et réclamé une enquête à la Commission européenne pour « aide d’État ». De son côté, la Cour des comptes a publié en mars un rapport très sévère sur le coût de cette mise à l’arrêt.

Quelles conséquences sociales pour les salariés, les sous-traitants de la centrale et le territoire ?

À Fessenheim, jusqu’à 2.000 personnes – le quart de la population – ont vécu directement ou indirectement de la centrale. En février, lors de la mise à l’arrêt du premier réacteur, il restait encore 645 agents EDF et un peu moins de 300 agents prestataires sur le site. Sur ces effectifs, seuls 60 salariés resteront pour le démantèlement de la centrale vers 2024. La fermeture de la centrale représente aussi un manque à gagner fiscal de 6,3 millions d’euros annuels, dont 3,4 qui bénéficiaient directement au territoire.

Un « projet d’avenir » a bien été signé début 2019 avec l’ambition de faire de cette zone un modèle de reconversion industrielle et énergétique. Mais à l’approche de l’arrêt définitif de la centrale, nombre d’élus locaux, parmi lesquels le député LR et président de la mission parlementaire sur la fermeture Raphaël Schellenberger, le président de la région Grand Est Jean Rottner et la présidente du Haut-Rhin Brigitte Klinkert, pestent à tout va contre « l’indifférence de l’État ». (...)

Comment s’annonce le démantèlement du site ?

Le démantèlement des deux réacteurs de la centrale se déroulera en trois étapes. La première, d’une durée de cinq ans, est la mise à l’arrêt définitive du réacteur avec le retrait du combustible nucléaire, la vidange des circuits et le démontage des installations non nucléaires. S’ensuivra à partir de 2025 le démantèlement à proprement parler, d’une durée de quinze ans : démontage de tous les équipements et bâtiments non nucléaires, conditionnement et acheminement des déchets vers des centres de stockage d’abord, puis démontage du réacteur et évacuation de ses composantes ensuite. Le chantier sera achevé en 2041 et coûtera près d’un milliard d’euros pour les deux réacteurs, a évalué EDF.

Ça, c’est pour la théorie. En pratique, dès la déclaration d’arrêt de la centrale en septembre 2019, EDF a remis à l’ASN un plan de démantèlement. Mais pour l’instant, ce dernier a été jugé d’un niveau de détail « insuffisant, compte tenu du délai très proche de l’arrêt définitif des réacteurs. Les demandes de compléments concernent notamment la justification du scénario de démantèlement et de ses opérations préparatoires, l’état des équipements qui seront employés pour les opérations de démantèlement, ainsi que la gestion des déchets », selon le gendarme du nucléaire.

Le scénario proposé par EDF ne convainc pas non plus les associations antinucléaires locales. (...)

"au bout d’une centaine d’années, le béton se délite et le risque de contamination de la nappe phréatique en-dessous est réel" (...)

La centrale sera-t-elle remplacée par une nouvelle installation nucléaire ?

C’est la question qui inquiète les associations antinucléaires locales. En effet, un communiqué du 21 février, le ministère de la transition écologique assure que « le gouvernement a réaffirmé sa volonté de créer à Fessenheim un centre d’excellence du démantèlement nucléaire, s’appuyant sur un technocentre pour le recyclage des matériaux métalliques très faiblement radioactifs. Le gouvernement a prévu d’adapter la réglementation pour permettre la valorisation de ces déchets dans le cadre de la cinquième édition du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs [PNGMDR] ». (...)

Il s’agirait d’une petite révolution. En effet, en France, tous les déchets issus d’une zone non nucléaire, quel que soit leur niveau de radioactivité, sont considérés comme des déchets non valorisables et stockés dans différents centre de l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra). Ceci, en dépit d’une directive européenne qui définit des « seuils de libération » – des niveaux de radioactivité en-deçà desquels les déchets peuvent être décontaminés et vendus comme matériaux valorisables aux filières industrielles conventionnelles. Si la France s’alignait sur cet usage européen, comme le prévoit le dernier PNGMDR, cela rendrait possible et même rentable la création d’un tel technocentre à Fessenheim. Il servirait d’abord à recycler les métaux irradiés issus du démantèlement des réacteurs alsaciens, puis des quatorze réacteurs français qui doivent être arrêtés d’ici 2035, voire de réacteurs européens en cours de démantèlement.

Pour l’heure, rien n’est fait. (...)

« Le problème, c’est que même après un traitement chimique et la fonte de l’acier, la radioactivité résiduelle dans le métal est hétérogène et peut rester élevée par endroits, alerte André Hatz. Imaginez que cet acier soit ensuite remis dans le circuit normal, pour la fabrication de casseroles, fourchettes, couteaux, cadres de vélo ou de poussettes… Au fur et à mesure que les volumes recyclés augmenteront, la quantité de radioactivité dans l’environnement augmentera aussi. » (...)