
Navire anti-réfugiés en Méditerranée, slogans anti-musulmans ou banderoles anti-migrants, soupes au cochon pour sans abris, discours anti-féministes... Les coups de com’ des militants identitaires se multiplient. Le mouvement, qui a adopté le sanglier pour logo, bénéficie d’un réseau européen, de la sympathie de toute la droite extrême, des cathos intégristes aux néo-nazis. Et essaiment dans les partis d’extrême-droite établis, du FN en France à l’AfD an Allemagne, qui vient d’obtenir 13 % des voix lors des élections législatives du 24 septembre.
En juin, le mouvement identitaire européen a lancé des campagnes de financement participatif pour affréter un bateau en Méditerranée. Celui-ci devait entraver le travail des ONG qui y tentent de sauver les migrants naufragés. Une embarcation, le C-Star, a bel et bien navigué en juillet avec des identitaires à bord (lire notre article). Entre inspections pour cause de travail illégal au sein de l’équipage, actions de blocage des ports tunisiens suite à la mobilisation des pêcheurs et des habitants, et avaries, l’initiative « Defend Europe » a viré au fiasco. Il n’empêche, elle aura permis au mouvement identitaire de faire parler de lui à travers l’Europe pendant tout l’été.
« La campagne Defend Europe avait en fait été lancée depuis un moment. En Autriche, les identitaires avaient déjà organisé un rassemblement sur ce thème il y a un an [1]. Même l’affrètement d’un bateau avait déjà été annoncé. Il était clair que quelque chose de ce genre se préparait », analyse Kathrin Glösel. Cette politologue autrichienne et activiste antiraciste suit la mouvance identitaire en Autriche et en Europe depuis 2011 et a co-écrit un ouvrage sur le sujet [2]. « C’était une action menée par les cadres du mouvement et qui a été critiquée en interne. »
La stratégie de communication au centre du mouvement
Présent aujourd’hui en Allemagne, Autriche, Danemark, Suède, Suisse, Italie, République tchèque, le mouvement des identitaires est à l’origine né en France, avec la création, en 2002, des Jeunesses identitaires, « considérées, par la justice, comme la résurgence d’Unité radicale, un groupuscule d’ultra-droite dissous en 2002 après l’attentat manqué contre Jacques Chirac », précise Éric Dupin dans son ouvrage La France identitaire [3]. En 2012, Jeunesses identitaires devient Génération identitaire. Le groupe revendique 2500 membres, actifs à Nice, Paris, Lyon, Toulouse et aussi à Lille, où ils ont ouvert un « bar identitaire » en 2016.
Leurs actions consistent essentiellement en des happenings racistes, où, comme pour le navire affrété cet été, communication et médiatisation sont centrales. (...)
« Il ne s’agit pas d’un mouvement de masse, c’est sûr, mais c’est déjà assez gros pour l’observer, estime Kathrin Glösel. En Allemagne, le mouvement des identitaires a très vite attiré l’attention et la sympathie de tout le spectre d’extrême-droite, des éditeurs, des revues. » Le mensuel xénophobe et conspirationniste Compact, l’hebdomadaire Junge Freiheit, et la revue Sezession (dirigée par l’idéologue Götz Kubitschek, qui a aussi lancé en 2016 une initiative destinée à récolter des fonds pour des campagnes et des actions d’extrême droite en Allemagne, Ein Prozent für unser Land ("un pour-cent pour notre pays"), leur ouvre ainsi régulièrement leurs colonnes avec beaucoup d’empathie.
C’est que l’idéologie des identitaires, la même dans les différents pays où ils sont présents, est clairement xénophobe, islamophobe et raciste. Les identitaires autrichiens et allemands ont adopté l’expression du « grand remplacement », inventée par le Français Renaud Camus (selon lequel une supposée unité ethnique française serait menacée par les migrations).
Masculinistes et anti-féministes
La politologue Kathrin Glösel et ses co-auteurs soulignent aussi la composante masculiniste de la mouvance : « Pour la nouvelle droite, la décadence, c’est avant tout une crise de la masculinité », écrivent-ils. En découlent des positions homophobes, contre le droit à l’avortement, contre le féminisme en général, et pour une image des femmes comme protectrice de la famille, avec la maternité pour seul horizon. (...)
" Les membres du mouvement ne sont pas des laissés-pour-compte. Au contraire, ils ont souvent fait des études. Ce sont des fils de médecins par exemple, mais ils se présentent comme une minorité menacée. "
Un tremplin vers le FN ou l’AfD
Que ce soit en France ou ailleurs en Europe, les proximités des identitaires avec les partis d’extrême droite sont fortes, idéologiquement et du point de vue des parcours des personnes. « Plusieurs militants du groupe français Génération identitaire travaillent ou ont travaillé avec des élus du FN », indique Éric Dupin dans son ouvrage. Comme Julien Langelia, un des fondateurs du mouvement, recruté par la mairie FN de Cogolin (Var). Ou Philippe Vardon : à l’origine des Jeunesses identitaires en 2002, il a délaissé le mouvement pour devenir conseiller régional FN en PACA en 2014.
« L’attraction du FN explique la disparition du Bloc identitaire, analyse d’ailleurs l’auteur de La France identitaire. Cet autre groupement identitaire créé en 2003 s’est transformé en parti politique en 2009. Mais la « formation identitaire “adulte” n’a jamais réussi à percer. Ses résultats électoraux sont restés des plus modestes, même dans des zones de force comme Nice » [5]. Dans certains cantons niçois ou alsaciens, des candidats du Bloc identitaire ont pu attirer entre 3 % et 9 % des voix. Ils ont depuis arrêté de concurrencer localement le FN et plusieurs de leurs cadres ont même investi l’organigramme du parti.
En Allemagne et en Autriche, « il n’y a aucune différence idéologique entre les partis de l’AfD (Alternative für Deutschland, parti allemand d’extrême droite né en 2013, ndlr) et du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs, pour l’Autriche, ndlr) et le mouvement identitaire », estime Kathrin Glösel. (...)
Faut-il y voir une stratégie coordonnée ? De Prague, à Lyon, les membres du réseau des identitaires européens se rencontrent régulièrement. « Le groupe identitaire de Halle, que nous suivons de plus près, voyage régulièrement vers la France, indique le militant antifasciste de Sachsen-Anhalt-Rechstaussen. Lors d’une manifestation identitaire à Berlin en juin, il y avait un groupe français, et d’autres du reste de l’Europe. »
Des camps d’été en uniforme et entraînements physiques (...)
Les identitaires français organisent un camp d’été chaque année depuis 2013. Au programme, des conférences et ateliers sur des thèmes aussi racistes que « comment ont été repoussés les musulmans par le passé ». Ces camps, où les participants sont en uniforme – short beige et t-shirt bleu orné du sigle identitaire – visent à « former un groupe cohérent au moyen d’une discipline quasi-militaire », écrit Eric Dupin. Qui note aussi « les connotations guerrières de la propagande de Génération identitaire ». La politologue et activiste autrichienne ajoute : « En Autriche, nous avons vu des identitaires attaquer des personnes à coups de matraques télescopiques. »