
La maladie d’Alzheimer n’est pas une maladie comme les autres. Elle transforme radicalement celui qui en est atteint, elle ne laisse aucune partie de l’individu intacte. Comment alors continuer à reconnaître un homme en celle ou celui qu’elle gagne ? Et quel type de soin doit-on lui prodiguer ?
Chaque siècle semble avoir son épreuve du malheur – maladie, handicap ou accident – révélatrice des grandes questions qui hantent les hommes et de ce qui fait leur identité. À chaque fois, le cas clinique y devient un cas d’école. Dans le grand temps, il y eut la lèpre, maladie du contact et de la tâche qu’investissait cette symbolique singulière de la souillure scrutant la part de culpabilité engagée dans le mal subi (cf. Ricœur dans sa Philosophie de la volonté). Plus près de nous, on songe à la querelle, aux XVIIe et XVIIIe siècles, sur l’origine des idées innées ou empiriques, soulevée par l’expérience de pensée de Molyneux concernant l’aveugle de naissance (cf. la controverse qui mobilisa après Locke, Voltaire, Diderot, etc.), et un peu avant lui au problème cartésien soulevé par le statut du membre fantôme. On songe également à la réflexion sur l’hystérie et aux hypothèses de l’inconscient à la fin du XIXe siècle qui remirent en cause notre conception du psychisme. On pense enfin à la maladie d’Alzheimer, expérience du mal subi de la maladie qui, plus qu’une tragédie, est une expérience du malheur. Cette dernière questionne ce que l’on peut reconnaitre de l’homme lorsque la maladie, lentement mais sûrement, ronge tous ses attributs d’humanité (pensée, langage, empathie, attention conjointe) au point de le rendre méconnaissable à ses propres yeux et aux yeux des autres.
Alzheimer, une question philosophique ? (...)