Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Infomigrants
Allemagne : le “répit” d’un écrivain ougandais dans une résidence artistique
#ouganda
Article mis en ligne le 6 mai 2023
dernière modification le 5 mai 2023

Emprisonné et torturé pour son travail d’écrivain, Robert* a fui l’Ouganda pour l’Europe à la fin de l’année 2020. Après avoir rejoint l’Allemagne, deux ans plus tard, ce demandeur d’asile a réussi à intégrer une résidence artistique. L’opportunité de se reposer et de commencer à se reconstruire.

Jamais Robert* n’aurait imaginé que ses livres de littérature jeunesse le mèneraient en prison. Puis que ce même talent d’écriture lui ouvrirait les portes d’un petit village de Schöppingen, au nord-est de l’Allemagne. Dans les locaux lumineux d’une ancienne ferme reconvertie en une dizaine d’ateliers d’artistes, l’écrivain ougandais a enfin pu trouver “un répit”, après un parcours migratoire mouvementé.

En décembre 2020, lorsque des hommes armés frappent à sa porte, Robert se doute de ce qui l’attend. L’écrivain vit alors à Kampala. Depuis plusieurs mois, le gouvernement ougandais mène une “chasse aux écrivains” dans la capitale. Les autorités sont furieuses après la publication d’un roman appelé Le barbare avare, de l’auteur Kakwenza Rukirabashaija - qui décrit un pays fictionnel gangréné par la corruption. Le président Yoweri Museveni veut décourager toute publication un tant soit peu politique.

Robert, lui, n’a publié que trois œuvres de fiction : un livre pour enfants, un polar aux relents de magie noire et un court roman d’aventure. Mais ce corpus suffit à le rendre suspect. Les policiers qui l’arrêtent sont “critiques des personnages de (ses) livres”. “Ils disaient que j’écrivais sur le président en le traitant de démon, ils prenaient des extraits sans contexte et me demandaient de m’expliquer”, se souvient-il.

Pendant dix jours, en prison, Robert est violemment torturé (...)

“J’ai dû payer un pot-de-vin de 4 000 dollars pour être libéré”. À sa sortie de prison, l’écrivain peut à peine marcher. (...)

De Nairobi à l’Allemagne

Avant lui, l’auteur Kakwenza Rukirabashaija a aussi été arrêté et torturé à plusieurs reprises. Robert sait donc qu’il doit quitter son pays pour rester en vie. Après une année à se rétablir, caché dans le village de sa mère, il traverse la frontière kényane à l’aide d’un passeur. “De nuit, dans des zones marécageuses infestées de crocodiles”, se souvient-il.

Mais sept mois à Nairobi le font déchanter. (...)

Robert ne dort plus, souffre d’anxiété. “Je voulais juste rejoindre un pays où je serais en sécurité”, dit-il. (...)

Via un contact - et contre 5 000€ - Robert obtient finalement un visa de tourisme pour la Norvège, dans l’espace schengen. Mais en réalité, il cherche à rejoindre n’importe quel pays européen. Il trouve un vol pour l’Allemagne : “J’ai pris le vol le moins cher, il allait à Francfort. Je n’avais plus d’argent après plusieurs mois au Kenya”.

Il atterrit sur le sol européen en juillet 2022. Le passage au poste-frontière est angoissant : “Les policiers ont examiné mon passeport pendant une dizaine de minutes, je leur ai dit que j’étais en transit, que je prendrais un autre vol pour la Norvège”. Ses voyages précédents dans plusieurs pays européens jouent en sa faveur. La chance, aussi. “Finalement, au bout d’un long moment, ils m’ont laissé passer”, raconte-t-il.
“Ne vous précipitez pas dans l’asile”

Une fois sa demande d’asile déposée, cependant, Robert tombe à nouveau de haut. Dans le centre d’accueil où il est placé, les conditions sont difficiles. “Les gens se droguaient dans les chambres partagées, me harcelaient…” Jour après jour, il se sent sombrer dans une profonde dépression. Pour contrer ses idées noires, il se réfugie dans la recherche d’organisations de soutien aux écrivains et envoie quelques candidatures. Une réponse lui parvient : il est sélectionné pour le village d’artistes de Schöppingen.

Depuis février, entouré d’écrivains et artistes du monde entier, Robert arrive ainsi à se reconstruire. (...)

“La résidence m’a offert un grand soulagement”, explique-t-il avec émotion : “Sans cette opportunité, j’aurais peut-être mis fin à mes jours”. (...)

“Je me demandais : comment d’autres artistes demandeurs d’asile ou emprisonnés vivent-ils cette situation ? J’ai voulu fonder une association pour les conseiller et les défendre.” De là naît son projet DWADI - Defend Writers and Artists Defenders International : une organisation pour soutenir les artistes en difficulté.

S’il obtient l’asile, Robert espère pouvoir enregistrer formellement son association. Mais pour l’instant, il se pose encore l’angoissante question de son propre futur à l’issue de ces trois mois à Schöppingen. Il espère encore trouver une autre résidence comme alternative au retour dans le centre d’accueil.

Parfois, confie-t-il, il regrette le choix d’être venu en Allemagne car l’attente dans des centres surchargés peut devenir insoutenable. À ses confrères artistes, il veut adresser un conseil : “Ne vous précipitez pas dans l’asile - attendez plutôt dans des pays voisins sûrs. Car ce système [en Allemagne] n’est pas fait pour protéger et aider les demandeurs d’asile.”