
L’historienne Malika Rahal publie un remarquable ouvrage, Algérie 1962. Une histoire populaire à La Découverte. Elle revient sur les espoirs et l’effervescence d’une année marquée par le départ des Français, le retour des populations dans leurs foyers, le début de la construction d’un État. La période coloniale se referme, pays s’ouvre sur l’avenir et sur les premières frustrations. Orient XXI publie ici la conclusion de cet ouvrage.
En Algérie, l’événement 1962 bouleverse le rapport que l’on entretient avec le passé, le présent et l’avenir et, ainsi, la conscience que l’on a de soi. Il change le temps vécu (ou le régime d’historicité) de la société algérienne, trace une ligne de partage entre passé et futur et donne le sentiment de franchir le seuil de l’avenir, qu’il soit l’accomplissement des attentes et espoirs anciens des uns, ou la réalisation des angoisses anciennes des autres. Pour la majorité des Français d’Algérie, en effet, l’événement provoque l’effondrement de leur monde et un désarroi qui, chez certains, nourrit la violence désespérée. C’est dans ce bouleversement du rapport au temps que se trouve, d’abord, la dimension révolutionnaire de 1962.
Le partage du temps
L’année est marquée par une double préoccupation, apparemment contradictoire. Elle est d’abord le temps d’une constante projection vers l’avenir, encouragée par le rythme des événements et l’aspiration à devenir, enfin, ce que l’on a rêvé d’être. Ce mouvement vers l’avenir est propulsé par des urgences vitales : se nourrir, se loger, se soigner et éviter de nouvelles catastrophes. Aggravées par le chaos provoqué par les bombes, les sabotages et le départ des Français qui désorganise l’économie et les services publics, ces urgences ne laissent que peu de temps pour se préoccuper du passé. L’urgence vitale est plutôt de s’approvisionner en nourriture, déminer les sols, organiser la rentrée des écoles et faire fonctionner les usines tout en mettant sur pied un État, former des instituteurs, médecins et ingénieurs pour assurer le changement d’échelle qui accompagne la transition et le remplacement de l’État colonial par l’État national.
Ce changement d’échelle de l’État est à la fois une ambition et une urgence. Deux documents révèlent l’intensité de l’effort et de l’investissement nécessaires pour le réaliser. (...)