
Mercredi 16 juin , le gouvernement vient de dévoiler son plan de réforme des retraites après une longue période de gestation et de formatage des esprits, mais les journaux télévisés ouvrent sur des images du département du Var englouti sous les eaux. La catastrophe écologique éclipse pour quelque temps l’actualité sociale. Les reporters sont sur place, chez les personnes interviewées c’est un mélange de fatalisme et de colère : on se plaint de la lenteur des secours, du manque de vigilance des autorités, de la couleur de l’alerte météo, orange alors qu’il aurait fallu rouge, mais, après tout , que peut-on faire face à un évènement aussi exceptionnel ?
Comme d’habitude en pareilles circonstances, les météorologistes commentent l’évènement en professionnels, en statisticiens prudents : « ce phénomène revêt un caractère exceptionnel, à cet endroit, en cette saison ». Un certain fatalisme prévaut, les hommes ne peuvent que subir les lois de la nature . . . On ne parle pas de réchauffement climatique car il serait déraisonnable de corréler un épisode météorologique particulier à ce phénomène ; encore une fois la loi des grands nombres ignore l’évènementiel. Evidemment, les phénomènes extrêmes ou violents sont de plus en plus nombreux mais on manque encore de recul . . . Cette prudence scientifique qui est compréhensible n’aide malheureusement pas à la conscientisation d’un phénomène plus global quand par ailleurs le message est brouillé et contradictoire : entre l’appel incantatoire au développement durable et l’impératif de la croissance et de la consommation tous azimuts, les citoyens sont soumis à des injonctions paradoxales qui les troublent et les déstabilisent. Parallèlement , dans le même temps, certains fanatiques irresponsables comme Claude Allègre, bénéficiant de relais médiatiques puissants, s’emploient à distiller le doute dans les esprits. Au final, l’absence de message clair, couplée avec une communication institutionnelle dévoyée sur le développement durable, produit de l’apathie et du fatalisme. Notre société fabrique des citoyens désabusés, déprimés, non impliqués, qui ne prennent pas la juste mesure des problèmes et désertent le politique . La gestion de la chose publique est dès lors entre les mains des politiciens professionnels et nos dirigeants libéraux actuels gèrent tout cela dans l’intérêt de leurs mandants : la banque et la grande industrie. Le capitalisme financier a besoin de consommateurs et non de citoyens engagés et responsables. Leur société du développement durable est destinée à subir le réchauffement climatique et les adaptations nécessaires seront gérées avec profit par le marché. Evidemment, ce dernier n’organise pas la solidarité mais la compétition et la concurrence : pour les individus, l’adaptation à la crise écologique ne sera pas collective mais individuelle et plus ou moins réussie en fonction de la capacité financière de chacun à accéder aux technologies susceptibles de lui assurer un certain niveau de confort.
Le manque de réactivité citoyenne face à la crise écologique se retrouve également dans le domaine social. A force de communication tendancieuse et de désinformation savamment orchestrée, le gouvernement a fini par instiller dans l’esprit des gens fatalisme et résignation et présenter comme inéluctables des décisions qui pourraient être évitées en changeant radicalement d’optique. Cependant, avec la réforme des retraites , une réforme qui remet en cause l’ensemble de notre modèle social et jette au rebut ou plutôt au marché des acquis sociaux marquant notre histoire collective, Nicolas Sarkozy frappe peut-être un peu trop fort ; on peut espérer qu’il va ainsi provoquer le réveil du corps social, le faire sortir de sa torpeur. Car l’enjeu ne se situe pas uniquement au niveau des retraites ; la bataille à mener est une bataille destinée à nous libérer d’un système qui nous asservit sans cesse davantage et nous conduit à la catastrophe. Il nous faut impérativement rompre avec l’ idéologie du travail contraint, de la soumission à une économie organisée pour consommer, produire et travailler toujours plus, afin d’engraisser quelques privilégiés au détriment de l’ensemble du vivant. Il nous faut stopper ce système quand il choisit « d’accélérer à l’orange » quand le voyant vire au rouge.