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Mediapart
Alain Juppé, l’homme qui a empoisonné les relations franco-rwandaises
Article mis en ligne le 30 mai 2021
dernière modification le 29 mai 2021

Le réchauffement diplomatique entre Paris et Kigali est en très bonne voie. La précédente tentative s’était soldée par un échec au début des années 2010. Au Quai d’Orsay, Alain Juppé avait joué un rôle déterminant dans cette crise

Le diplomate Laurent Contini, ambassadeur de France au Zimbabwe, est alors désigné pour prendre le poste de Kigali. Détaché auprès du représentant spécial de l’Union européenne dans les Grands Lacs durant cinq ans, l’homme s’est déjà impliqué dans le processus de paix au Burundi ainsi qu’en République démocratique du Congo et connaît bien la situation intérieure au Rwanda.

Laurent Contini débarque à Kigali en janvier 2010. « C’est un peu sportif. C’est rare… On arrive très peu nombreux, comme un commando. Une équipe spéciale de 5 ou 6 pour tout rouvrir. Tout est pourri, donc c’est un boulot qui est presque matérialiste. Il faut reconstituer les infrastructures et les institutions, donc c’est compliqué. On a peu de temps, peu d’argent… », raconte l’ambassadeur qui décrit une expérience « passionnante ».

La petite équipe diplomatique, qui repart de zéro, parvient à remplir sa mission. « J’arrive à rouvrir les ambassades. L’école française démarre bien. Pour le centre culturel français, on avait un projet de reconstruction », se félicite rétrospectivement Laurent Contini.

En déplacement à Kigali au mois de février 2010, Nicolas Sarkozy prononce un discours retentissant dans lequel il reconnaît les « graves erreurs d’appréciation » et un « aveuglement » de la France en 1994.

Pourquoi, dès lors, parle-t-on aujourd’hui de « blocage » dans les relations entre les deux pays ? « Ça prenait fort !, résume au contraire Laurent Contini. Tous les projets qu’on a mis sur pied à l’époque – financement, coopération énergétique, etc. – avançaient même relativement vite. La normalisation se faisait partout. J’avais même obtenu de l’Élysée l’envoi d’un attaché de défense. »

En France, quelques voix s’élèvent néanmoins contre le rapprochement avec Kigali. À nouveau, Alain Juppé proteste à plusieurs reprises sur son blog et dans des courriers publics contre toute évocation de la responsabilité de la France dans les événements de 1994. Il s’agirait selon lui d’une « réécriture de l’histoire » commanditée par le Rwanda.

Laurent Contini profite de la conférence des ambassadeurs de l’été 2010 pour contacter Alain Juppé. « Je le rencontre pendant une heure et j’essaie de lui expliquer la rationalité de la normalisation avec le Rwanda. Qu’il ne s’agissait pas d’une entreprise de repentance, mais d’un objectif politique ! Dans ma naïveté, je croyais lui avoir fait toucher un peu de cette rationalité », raconte le diplomate.

Mais neuf mois après la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, Bernard Kouchner semble déjà sur le départ : il est marginalisé par les conseillers du président Sarkozy sur la plupart des dossiers importants. Claude Guéant conserve la haute main sur les affaires africaines, et l’ex-« french doctor » Kouchner ronge son frein.

Du côté des présumés génocidaires rwandais, la normalisation accélérée des relations franco-rwandaises inquiète. En particulier chez les cadres des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé raciste et criminel qui a ravagé la région des Grands Lacs et dont une partie des responsables politiques réside en France.

Dans la soirée du 5 septembre 2010, le secrétaire exécutif des FDLR basé en région parisienne, Callixte Mbarushimana, appelle l’un de ses anciens collègues rwandais établi près de Toulouse. Les deux hommes semblent bien informés de ce qui se trame au sein de la droite.

Mediapart a consulté la retranscription de cet appel d’une demi-heure intercepté par la gendarmerie. Les deux extrémistes rwandais évoquent les poursuites engagées contre des chefs du FDLR en Allemagne, mais aussi le rapprochement franco-rwandais, et ils s’inquiètent de pouvoir être utilisés comme « monnaie d’échange ».
« Les choses peuvent changer dans les jours à venir », annonce Callixte Mbarushimana qui semble impatient de voir partir Bernard Kouchner. (...)