
Le mystère qui entoure la « maison de fous » ou comme la plupart des gens l’appelait l’asile psychiatrique, garde toujours ses secrets, ses tabous ; sauf pour ceux et celles qui y ont travaillé, et qui ont contribué à soulager les malades.
Voici donc la suite
L’histoire qui suit se déroule lorsque j’étais en 1ère année de formation (1979).
(...) Monsieur S, professeur de mathématiques dans un lycée, était hospitalisé depuis plusieurs années. Il était diagnostiqué comme psychotique ; il était totalement mutique, personne parmi le personnel soignant n’avait jamais perçu le son de sa voix. Très discret, voire même absent, il se tenait toujours à l’écart des autres, patients et soignants compris. Cet homme qui eut pu être mon père, souffrait en silence ; quand il était couché sur son lit pendant la sieste, les bras le long de son corps, cela me faisait penser à la position d’un cadavre à la morgue !
Cet homme était très intelligent et aussi très sensible, d’après mes observations. Sachant qu’il jouait au jeu d’échec, moi pas ; après plusieurs sollicitations, il accepta d’être mon professeur d’échec. Le courant est alors passé entre nous et à l’insu de tous, nous nous retrouvions devant un échiquier à l’abri des autres.
C’est à l’occasion de ces parties ponctuées par cet humour que je distillais avec parcimonie au début, ensuite avec une dose de provocation dans mon langage tout en prenant des défaites bien méritées lors de ces joutes cérébrales. Monsieur S était très fort à ce jeu, et il était très sensible à l’humour, et aussi à l’autodérision dont j’usais sans compter. Lors d’une partie plutôt acharnée, à un moment très important, son fou prend ma reine et ma réaction provocatrice fût celle-ci : Cette conne de reine, elle s’est encore faite niquée par ton fou, qui n’est pas si fou que ça, etc… Voilà le type de propos dont j’usais souvent pour lui soutirer un sourire, puis ensuite des éclats de rire.
Enfin il me parlait ; un jour Sylviane, infirmière cadre, en clair ma chef directe, qui passait par là a entendu une voix qu’elle ne connaissait pas. Surprise, elle me demanda qui avait parlé, je lui répondis que c’était Mr S ; stupéfaite, elle n’en croyait pas ses oreilles.
Un peu plus tard, convoqué dans son bureau, je lui affirmait qu’il s’agissait de la voix de Mr S. Elle me suggéra de lui proposer des sorties en dehors de l’hôpital (piscine, cinéma, etc…) ; faite d’argent, de personne, le cadre supérieur à refusé de cautionner ce projet pour Mr S !
Quelques mois plus tard, Mr S sort de l’hôpital sans suivi ambulatoire, il était livré à lui-même. Quelques mois plus tard Mr S mit fin à ses jours en consomment des amanites phalloïdes, ce en une semaine !
Mon gentil professeur d’échec qui m’avait tant donné n’était plus là ; mais il m’avait fait le plus beau cadeau que l’on ne m’ait jamais fait, et depuis je pense toujours à lui lorsque j’utilise les échecs dans des activités thérapeutiques pour aides des malades à sortir de leur souffrance morale. (...)