
David Dufresne, l’auteur de "Tarnac, magasin général" réagit à l’auto-dessaisissement du juge Fragnoli.
– Pour tout dire, ce dessaisissement est... insaisissable, à première vue. On dirait que Thierry Fragnoli qui me citait le film "Kill Bill" pour comprendre sa démarche, a suivi le scénario jusqu’au bout, quand l’actrice principale, Uma Thurman, renonce à croiser le fer une dernière fois... Il me fait penser à un coureur de quatre fois cent mètres, essoufflé, à bout de sa résistance, à l’approche de la ligne finale, qui se retourne et cherche un partenaire à qui refiler le relais. Sauf que les deux autres juges avec qui Thierry Fragnoli étaient saisis l’ont laissé à son sort depuis un certain temps. Ils ont été ou vont être nommés ailleurs. Et voilà le magistrat principal qui se retrouve plus solitaire que jamais : qui reprendra le flambeau ? Qui terminera les quelques mètres, et ultimes vérifications, qui séparent l’affaire de sa ligne d’arrivée et de la clôture du dossier ? De ce que je sais, Thierry Fragnoli avait commencé à rédiger son ordonnance de renvoi. On ne saura donc pas s’il croyait encore à la qualification de terrorisme dans cette affaire ou non. C’était notre désaccord profond, et, à mes yeux, la seule question qui vaille. Et, à dire vrai, je crois l’individu Fragnoli moins binaire que le juge Fragnoli. L’homme mérite mieux que sa soudaine réputation. (...)
Fragnoli est un homme qui croit en la raison d’État et en l’intérêt supérieur de la nation. En ce sens, il est formaté "anti-terroriste". On le voit bien dans les affaires récentes, comme dans celle-ci : cette vision est le signe de leur extraordinaire politisation. Mais je crois que Thierry Fragnoli sait mieux que personne que la vengeance est le contraire même de la justice. Sur la question de savoir s’il avait un "parti pris en faveur de la culpabilité", il s’en défend, bien entendu.
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il serait cruel, et insuffisant, que seul Thierry Fragnoli soit désigné à la vindicte. D’autres doivent rendre des comptes : la direction centrale du renseignement intérieur, la sous-direction anti-terroriste, les ministres de l’Intérieur et de la Justice successifs, et même l’Elysée qui a joué un rôle certain dans cette affaire. Et puisqu’on y est : on aimerait que la gauche prenne position et ouvre un débat de fond sur la question des us et coutumes de la police anti-terroriste.