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Aéroports de Paris, petites concessions entre amis
Article mis en ligne le 15 juin 2019

La collecte des signatures pour le référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris a commencé. Soumise par 248 parlementaires, la proposition de loi référendaire vise à « affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris ». Il est possible de déposer son soutien dans les mairies des chefs lieux de canton et via un site Internet dédié, déjà très critiqué pour ses multiples bugs… Dans notre édition de juin, en kiosques, Marc Endeweld décrit comment Emmanuel Macron veut brader ce « joyau de l’État français » depuis son passage au ministère de l’économie.

Au cours de la campagne présidentielle, M. Emmanuel Macron s’était bien gardé d’annoncer qu’il engagerait des privatisations une fois au pouvoir. Tout au plus avait-il évoqué à demi-mot devant des journalistes, le 2 mars 2017, la possibilité de céder des titres d’entreprises publiques, au détour d’un point sur son projet de fonds « pour l’industrie et l’innovation » de 10 milliards d’euros : « Le fonds dont il est question consiste à placer soit des cessions, soit des titres aujourd’hui détenus par l’Agence des participations de l’État. » S’empressant d’expliquer que ces cessions ne seraient pas simplement engagées « à des fins budgétaires », il avait alors refusé d’annoncer quelles entreprises il visait (1).

Ses convictions à ce sujet sont pourtant anciennes. Quand il était ministre de l’économie de M. François Hollande, M. Macron avait déjà supervisé la privatisation des aéroports de Lyon, de Toulouse et de Nice, et procédé à la cession de participations publiques dans les groupes Safran, Orange et Engie.

Par deux fois, il aurait même déjà voulu, comme aujourd’hui, privatiser Aéroports de Paris (ADP) — dont l’État reste actionnaire à 50,6 % —, affirme le secrétaire d’État chargé des transports de l’époque, M. Alain Vidalies, dans un ouvrage publié en mars dernier (...)

Las ! Le Conseil constitutionnel a validé le 9 mai dernier le lancement par 248 parlementaires de droite et de gauche d’un référendum d’initiative partagée (RIP) sur la reconnaissance du caractère de « service public national » des aérodromes parisiens (3). Une gifle pour l’exécutif. Les opposants se lancent cependant dans un parcours d’obstacles : ils doivent rassembler 4,7 millions de signatures d’électeurs dans un délai de neuf mois ; ensuite, c’est seulement si la proposition n’a pas été examinée par l’Assemblée nationale et le Sénat dans un délai de six mois que le président de la République doit la soumettre à un référendum.

Six jours après la validation du RIP, la Cour des comptes exprimait les plus fortes réserves sur le financement de l’« innovation de rupture » auquel sont censées servir les ressources dégagées par la privatisation d’ADP (4). Elle qualifie le fonds envisagé de « mécanique budgétaire complexe et injustifiée » et relève que seuls 250 millions d’euros seront effectivement disponibles annuellement. Dans le projet du gouvernement, les 10 milliards d’euros récoltés à l’issue des privatisations doivent être investis dans un portefeuille de placements, et seuls les intérêts produits par ce fonds pourront être utilisés… La Cour des comptes fustige « des opérations inutilement compliquées », s’inquiète d’une dotation « pas réellement sanctuarisée » et précise qu’il aurait été plus efficace et plus rapide de prévoir une ligne budgétaire du même montant.

Aujourd’hui, les aéroports parisiens sont la principale porte d’entrée et de sortie pour la France. Dans un marché aérien en forte croissance, ils ont accueilli plus de 107 millions de passagers au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus qu’il y a vingt-cinq ans (5). Lancé en 1964, Roissy-CDG (6) en a reçu à lui seul 74 millions. Connecter Paris au monde reste une obsession des gouvernements. En 2007, c’est à Roissy que le président Nicolas Sarkozy avait engagé le débat sur le Grand Paris, refusant que la capitale française « se laisse distancer par Shanghaï, par Londres ou par Dubaï ». Douze ans plus tard, le groupe ADP prévoit d’investir pas moins de 6 milliards d’euros entre 2021 et 2025 dans ses trois aéroports parisiens. Sur fond d’aménagements du Grand Paris, et dans la perspective des Jeux olympiques de 2024, on trouve ainsi dans les cartons la construction prochaine du terminal 4 à Roissy, pour accueillir entre 30 et 40 millions de passagers supplémentaires, ou le projet CDG Express, un train direct entre l’aéroport et la gare de l’Est. (...)

Alors, pourquoi privatiser un actif aussi stratégique pour l’État (lire « Un actif stratégique pour l’État français »), devenu un important levier économique ? ADP est actuellement une machine à cash, qui a rapporté à elle seule 173 millions d’euros de dividendes à la collectivité l’an dernier : autant d’argent perdu pour les contribuables en cas de privatisation. D’autant que la croissance du nombre de passagers n’est qu’un des aspects de cette folie des grandeurs très rentable. En région parisienne, le groupe s’apparente à un État dans l’État (...)

Aux États-Unis, le choix a été fait de conserver ces équipements sous contrôle public

(...)

Dès décembre 2017, M. Jean-Marc Janaillac, alors PDG d’Air France-KLM, exprimait les plus vives réserves : « En théorie économique, la privatisation des aéroports qui constituent des monopoles naturels n’a rien d’une évidence. Dans la plupart des grands États aéronautiques, et notamment aux États-Unis, le choix a été fait de conserver les aéroports sous contrôle public en raison de leur caractéristique d’infrastructure d’intérêt général au service de l’aménagement du territoire (9). » Si le gouvernement affirme qu’il contrôlera toujours le niveau des redevances, les compagnies aériennes craignent que la privatisation offre une rente aux actionnaires privés.

Bercy assure que la privatisation se fera « dans la transparence », et non dans le cadre d’une opération de gré à gré, comme cela a été envisagé un temps. Elle apparaît pourtant totalement hors norme, avec un schéma d’une rare opacité. Plusieurs aspects troublent particulièrement : choix d’une concession alors que les équipements existent déjà et que l’essentiel des investissements est acquis ; durée très longue, soixante-dix ans ; indemnisation de près de 1 milliard d’euros pour les actionnaires minoritaires — dont Vinci — au prétexte qu’ADP, dont ils sont propriétaires sans limitation, ne sera plus que concessionnaire pour une durée déterminée ; enfin, la restitution des biens à l’état en fin de concession fera l’objet d’un dédommagement surprenant pour une partie des actifs et selon un calcul des plus nébuleux (10). Autant dire que, une fois la mécanique enclenchée, tout retour en arrière sera difficile et ruineux pour l’État, même en fin de contrat… (...)

Dans ce dossier de privatisation, de nombreux réseaux sont à la manœuvre. Notamment ceux de la Caisse des dépôts, bras armé financier de l’État, que M. Macron connaît bien. (...)

D’autres acteurs du dossier se trouvent au cœur des réseaux de La République en marche (LRM). Au Parlement, ce projet de privatisation est inscrit dans la loi Pacte — pour « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » —, officiellement destinée à dynamiser la croissance française… Son rapporteur général n’est autre que le député LRM Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques. L’année dernière, il travaillait sur le dossier ADP avec l’aide d’une collaboratrice parlementaire, Mme Aigline de Ginestous, ancienne de la banque Rothschild qui a participé à la collecte de fonds de la campagne présidentielle de M. Macron. (...)

Veut-on brouiller les pistes à l’Élysée ? Des indiscrétions habilement distillées dans la presse laissent penser que la candidature de Vinci au rachat d’ADP n’aurait plus les faveurs du président. Le groupe du bâtiment et travaux publics (BTP) réclame des centaines de millions d’euros pour l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, dont il était le concessionnaire. À peine la procédure de RIP enclenchée, il prenait le contrôle de l’aéroport londonien de Gatwick pour 3,2 milliards d’euros…
Le Conseil constitutionnel prié de revenir sur sa validation du référendum (...)

L’entêtement du gouvernement et de l’Élysée étonne. On retrouve cette obstination dans la vente partielle de l’aéroport Toulouse-Blagnac, portée dès 2014 par un certain M. Macron, ministre de l’économie. En distribuant 100 % du bénéfice en dividendes et en piochant dans les réserves financières de l’aéroport avant de remettre en vente sa participation, l’acheteur chinois Casil avait montré son peu d’intérêt pour l’avenir du site. Le 16 avril dernier, la cour administrative d’appel de Paris offrait une voie de sortie en annulant la procédure de privatisation, jugée irrégulière. Mais, plutôt que de la saisir, l’Agence des participations de l’État a annoncé début mai qu’elle allait se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État…

Dans les jours qui ont suivi la validation du RIP, le pouvoir a mis le Conseil constitutionnel sous pression, dans l’espoir qu’il fasse marche arrière et interrompe le processus à l’occasion de l’examen de la loi Pacte.