Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Non-Fiction
Actuel Moyen Âge : Quand la police tape sur les étudiants
Article mis en ligne le 29 mars 2018

Dans la nuit du 22 mars, des étudiant·e·s de l’université de Montpellier ont été violemment agressé·e·s alors qu’il·elle·s occupaient un amphithéâtre, par une milice fasciste agissant avec le soutien, au moins verbal, du doyen de l’université. Cette brutalité n’est pas isolée : à Toulouse, à Bordeaux, à Strasbourg, plusieurs mobilisations étudiantes ont connu des tentatives de répressions, parfois dans la violence. Certes, les acteurs de ces violences ne sont pas les mêmes. Mais la question de fond reste identique. Taper sur les étudiants, un sport que l’on pratique depuis longtemps...

(...) On sait que le Moyen Âge a inventé l’université ainsi que la plupart des formes contemporaines d’évaluation du savoir. On sait moins que les étudiants médiévaux étaient extrêmement turbulents. Jeunes, souvent étrangers, ils vivent entre eux dans des « quartiers étudiants » auxquels ils vont donner leur nom (à Paris, le Quartier Latin). Il y a deux types d’étudiants : beaucoup sont fils de personnages très riches et profitent de l’éloignement familial pour se comporter de manière très contestable. Ils se déplacent fièrement en bandes, entourés de serviteurs, et n’hésitent pas à provoquer des bagarres dans les tavernes. Le reste est originaire de milieux modestes et vivent donc à la limite de la pauvreté. Tout ça favorise une agitation sociale permanente (...)

En outre, les étudiants sont des clercs : à cette époque, l’université est une institution religieuse. Or les clercs jouissent du privilège dit du for intérieur : ils ne peuvent pas être jugés par les autorités séculières. (...)

Les universités savent défendre ce droit, car elles sont conscientes de son importance : en 1301, l’université de Paris écrit ainsi au roi et au Parlement pour se plaindre du prévost Thibout, coupable d’avoir arrêté et torturé un étudiant, qui est dénoncé comme « le fils de la rébellion et de la désobéissance ». Un officier de police est donc du côté de la rébellion, pour avoir violé le privilège de la liberté universitaire...

Il nous reste un héritage direct de ce statut : les universités jouissent d’une franchise qui interdit aux forces de police de pénétrer à l’intérieur d’un campus, sauf à la demande expresse du/de la président·e de l’université, ou en cas de catastrophe. (...)

« La police, avec nous ! »

Dans les années 1451-1455, les « chahuts » estudiantins se multiplient à Paris. Il faut dire que les étudiants sont, à ce moment-là, très nombreux : il y a dès lors plus de diplômés que de postes. Cette agitation est sous-tendue par une opposition entre le roi de France, Charles VII, et l’université de Paris, le roi de France cherchant à diminuer les privilèges (notamment fiscaux) de celle-ci.

C’est dans ce contexte que s’épanouit François Villon : provocateur, insolent, il flirte avec des criminels organisés (la bande des Ecorcheurs) et organise de vastes plaisanteries à l’échelle de la ville pour mieux humilier les puissants. La tension monte, et Villon s’y entend pour jeter de l’huile sur le feu.

En 1455, il est probablement l’un des organisateurs d’une grande manifestation d’étudiants. Celle-ci est réprimée dans le sang (...)

Un silence trop coupable

Il n’y a pas de continuité entre les revendications des étudiants de 1455 et celles des étudiants de 2018. Par contre, il y a bien un lien direct entre les répressions de ces mouvements. Hier comme aujourd’hui, il s’agit pour l’Etat de briser des groupes qui s’organisent sans lui, voire contre lui, qui le défient par leurs mots, leurs actions, leur seule existence. (...)

Au Moyen Âge, on a l’impression que les privilèges des étudiants sont en réalité assez peu respectés par le pouvoir royal : de nombreux étudiants sont arrêtés, torturés voire pendus, et les protestations de l’université n’y changent rien. Mais au moins proteste-t-elle ! (...)

Au contraire, aujourd’hui, les différentes autorités universitaires sont étrangement silencieuses, alors même que l’avenir de l’université publique est en péril, face à des réformes qui imposent la sélection à l’entrée à l’université. Les chahuts étudiants des années 1455 ont été soutenus par une grève des professeurs si efficace qu’elle force le roi à suspendre les cours pendant deux ans. L’université, alors, savait faire bloc pour défendre son statut, sa spécificité, son identité. « L’honneur des universitaires » semble aujourd’hui fantomatique.

Face à la violence du pouvoir, les étudiants ont su, depuis des siècles, opposer la force de leurs mots. Villon le dit lui-même : « quand on me juge par tricherie, était-il l’heure de me taire ? Quand on me dit "Vous serez pendu !", était-il l’heure de me taire ? ». À tou·te·s les étudiant·e·s qui luttent : reprenez à votre compte cette jolie formule, et la réponse, toujours négative, qu’il convient de lui apporter.