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blogs de Médiapart/ Khedidja Zerouali Journaliste à Mediapart
Accablée comme une Arabe en France
#democratie #racisme #inégalités #Nahel #émeutes #répression
Article mis en ligne le 18 juillet 2023
dernière modification le 17 juillet 2023

Quand on est racisé·e dans ce pays, on naît en apnée, on vit en apnée et on risque de mourir étouffé·e. La violence des mots, de la répression, du rejet que l’on subit en France est devenue intenable.

Je ne vis plus tranquillement depuis qu’un policier a mis une balle dans le thorax de Nahel, un enfant de 17 ans, arabe et habitant dans un quartier populaire de Nanterre.

Quand on est arabes et noir·es, racisé·es dans ce pays, on naît en apnée, on vit en apnée et on risque de mourir étouffé·e. Je suis tellement en colère que même les gens heureux m’agacent ces jours-ci. Comment peux-tu vivre heureux dans un pays qui suinte le racisme par tous ses pores ? Qui tue, qui justifie, qui punit ses enfants qui osent se lever contre l’injustice ? Ce n’est pas le premier et pourtant cet homicide-là, et tout ce qui a suivi, nous marquera durablement.

Le policier qui a tué a été soutenu financièrement par le ministre de l’intérieur, qui lui a permis de maintenir son salaire. Des Français·es, comme celles et ceux qu’on croise tous les jours, et des bourgeois·es gêné·es par quelques milliers d’euros en trop sur leurs comptes, ont nourri une caisse de soutien de plus d’un million d’euros. Une fille avec qui j’étais au lycée et que j’aimais beaucoup a partagé la cagnotte pour le policier sur Facebook. Ceux qui pensent qu’on peut de cette manière ôter la vie d’un jeune homme de 17 ans sont partout autour de nous. C’est aussi des gens bien, comme cette poignée de profs de mon ancien lycée qui estiment que, quand même, ce petit Nahel l’avait peut-être un peu cherché.

Que faire avec toute cette colère ?

Quand de jeunes gens de quartiers populaires, qui auraient pu être Nahel, ont dit leur colère dans le feu et le fracas, ils ont été envoyés, fissa, en comparution immédiate.

Prison, prison, prison.

Quand des familles de victimes de violences policières, comme la famille Traoré, ont voulu marcher et se recueillir, l’État les en a empêchées par deux fois. Le 8 juillet 2023, elles ont marché quand même, à Paris, et en hommage à Adama Traoré comme elles le font chaque année depuis sept ans. Cela a valu à la sœur Assa une procédure judiciaire par la préfecture de Paris. Cela a valu au frère Yssoufou une arrestation d’une violence inouïe, à tel point qu’une enquête pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » a été ouverte. Peu importe les raisons pour lesquelles ils l’ont arrêté, la violence de l’arrestation m’a retourné le ventre. (...)

J’étais dans le train, il y a deux jours, quand j’ai entendu le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, qui s’est si longtemps drapé dans son combat contre l’extrême droite, inviter le Rassemblement national à saisir la justice contre les élu·es de gauche qui avaient marché aux côtés de la famille Traoré, malgré l’interdiction préfectorale. Ce n’est pas que j’accorde un quelconque crédit politique à Éric Dupond-Moretti mais qu’on en soit rendus là m’a scotchée. Je ne pleure pas facilement (à part devant des films), mais j’ai eu subitement très envie de pleurer devant l’abîme. (...)

Je me suis dit, quelque part entre Nîmes-Gare et Nîmes-Centre, que le fascisme, on ne s’y rend pas, on y est déjà. Ils peuvent faire pire, ils ont de la marge dans l’ignoble, mais on y est.

À ce moment-là, tout s’est mélangé dans mon esprit : le contrôle des corps des jeunes lycéennes musulmanes, les petits qui jouent à la prière dans la cour et contre qui on lâche l’appareil d’État, tous ces jeunes gens morts de violences policières, ceux légitimement en colère qu’on envoie au trou, le RN qui passe pour timoré à côté de la droite classique, le sort réservé aux migrant·es en France, en Tunisie, en mer, ailleurs, la déliquescence d’une partie de la gauche sur ces questions… L’impression d’être toujours seul·es, face à une violence qui nous dépasse.

Pas avare en provocations, ce mercredi, le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il demandait l’interdiction de la manifestation contre les violences policières q

ui doit se tenir en fin de semaine. Encore. Je compte m’y rendre pour crier avec les autres, mais je me demande si on n’a pas déjà perdu.

C’est qui, la racaille ? (...)

Les élus qui mettent de l’huile sur le feu ces derniers jours le font à dessein, dans un combat idéologique et civilisationnel qu’ils mènent contre nous depuis des années. Ils ne veulent plus de nos gueules de métèques ici, ils nous le font comprendre. Partir serait leur donner raison mais rester à quel prix ? Et puis pour partir où ?

Pendant que le cirque médiatique bat son plein, dépassant toujours les limites de la décence, que des élus nous piétinent de leur violence, des jeunes gens dorment en prison pour avoir usé du seul moyen d’expression qu’on leur laisse. (...)

C’est la même police française qui, dans ses heures coloniales, a tenu mon grand-père en joug, l’a enfermé, a usé de la gégène sur le corps d’enfant de ma grand-tante, etc. (...)

Depuis le drame du 27 juin 2023, c’est sans se cacher que des confrères, des consœurs et des élu·es nous crachent tous les jours dessus. En plus de cette horde de gens anonymes sur les réseaux sociaux : on ne m’a jamais autant traitée de sale Arabe que ces derniers jours. (...)

J’ai cherché une issue positive à ce texte, mais je n’ai pas trouvé. Je ne vois, dans cet océan de racisme et d’autoritarisme, rien de positif. Comme le dit la rappeuse Casey, « des fois, c’est un crachat dans ta gueule que j’ai envie d’envoyer pour que tu comprennes »