
A part le mot « merde », qui est « peut-être un peu fort », Jean-Claude Philipot « assume totalement » le libelle contre les collections du fonds régional d’art contemporain de Champagne-Ardenne (FRAC) qu’il a publié le 29 novembre 2013 sur le site officiel du Front national. Intitulé « FRAC : un écrin pour de la merde », le texte de ce commissaire-colonel à la retraite, directeur de campagne de Roger Paris, candidat FN à la mairie de Reims, fustige « les pseudo œuvres qui pourraient parfois être réalisées par un enfant de 5 ans voire par un animal auquel on aurait mis de la peinture sur les pattes et la queue (…) et devant lesquelles les bobos de la gauche caviar ou plus simplement les snobs s’extasient pour faire “moderne” et se distinguer de ce peuple qu’ils méprisent et qui trouve affreux ces “machins” ».
« Il fait peur », écrit le 2 décembre le quotidien régional L’Union-L’Ardennais, ajoutant : « Le vernis du nouveau style du FN ne tient pas longtemps. » De son côté, la directrice du FRAC, Florence Derieux, réagit : « Ces gens-là ne savent plus quoi faire, quoi dire, pour être médiatisés. Tout ce qui est écrit dans ce texte est une aberration. Quand on est tiré vers le bas par quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle, c’est dur. » Elle rappelle que pour ses 30 ans, le FRAC Champagne-Ardenne a organisé, entre 2012 et 2014, 30 expositions où il a montré plusieurs dizaines des 788 œuvres qu’il a acquises depuis 1984.
Quelle politique culturelle le FN va-t-il défendre pour Reims ? Dans son bureau de campagne, M. Philipot, ancien délégué national du groupement catholique intégriste Civitas, appelle à la création d’un fonds rémois d’art figuratif (FReaF) pour rivaliser avec le FRAC. Il défend le lancement d’« ateliers itinérants d’artistes et d’artisans destinés à sensibiliser le public à l’amour d’un vrai métier et à la culture du beau ». Il milite pour des fêtes johanniques (festivités traditionnelles rémoises en souvenir du sacre de Charles VII par Jeanne d’Arc) « plus importantes que celles d’aujourd’hui et véritablement médiévales », avec « des groupes folkloriques ». Une proposition qui étonne les responsables de la mairie (PS) : les prochaines fêtes johanniques, le 31 mai, accueilleront quelque 200 artistes, un « spectacle de feu », 140 artisans et un grand cortège musical et théâtral médiéval comptant plus de 800 figurants. Ils n’ont pas attendu le FN pour en faire une fête populaire, fondée sur l’histoire.
QUELQUES GRANDES OBSESSIONS
Au-delà du ton polémique, le programme de M. Philipot et du FN Reims n’est pas isolé au Front national. Il s’intègre dans une vision du monde culturel structurée par quelques grandes obsessions : attaques contre l’art contemporain, éloge du traditionalisme, dénonciation des réseaux parisiens et de l’élitisme culturel, rejet du multiculturalisme et défense du patrimoine historique et religieux. (...)
FÊTE DE LA LIBERTÉ DU LIVRE
A Toulon, Jean-Marie Le Chevallier (1995-2001) avait transformé en 1996 la traditionnelle Fête du livre en Fête de la liberté du livre : il y accueillait de nombreux stands de littérature d’extrême droite. Il avait également refusé de rendre un hommage prévu à l’écrivain Marek Halter, jugé « internationaliste et mondialiste ». Après avoir fait ériger une statue de Raimu au centre-ville, pour valoriser « l’identité provençale » de Toulon, il avait fait pression sur Gérard Paquet, le créateur du Théâtre national de Châteauvallon, pour qu’il change sa programmation « trop moderne » avant de le licencier en janvier 1997.
A Marignane, Daniel Simonpieri, maire de 1995 à 2008, avait mis fin aux abonnements de la bibliothèque municipale à Libération, La Marseillaise et L’Evénement du jeudi pour les remplacer par Présent, Rivarol et National-Hebdo. Des ouvrages sur l’homosexualité ou le féminisme avaient été bloqués par la mairie tandis que 75 livres rédigés par des auteurs du FN, d’extrême droite, royalistes ou négationnistes étaient commandés sans que les bibliothécaires en soient avertis.
A Orange, Jacques Bompard, maire depuis 1995 et président de la Ligue du Sud, a supprimé la subvention des Chorégies, le plus ancien festival d’art lyrique de France, et du centre culturel Mosaïques, organisateur des Nuits du théâtre antique. D’après l’inspection générale des bibliothèques, il a fait suspendre l’achat des suppléments littéraires deLibération et du Monde ; des ouvrages de Didier Daeninckx et Jean Lacouture ont été rayés des listes, comme d’autres, qui traitaient du racisme, du rap, du mondialisme, des contes étrangers, ou qui ne relevaient pas des « bonnes mœurs ».
Dans son discours politique médiatique, comme l’explique Sylvain Crépon, auteur d’une Enquête au cœur du nouveau Front national(Nouveau monde, 2012), « le FN mariniste a opéré un toilettage pour éviter de se montrer trop connoté à l’extrême droite ». Les militants et les cadres restent cependant imprégnés de l’idéologie passéiste et autoritaire de cette mouvance. C’est dans le domaine de la culture qu’elle se révèle au grand jour car elle constitue toujours l’ossature intellectuelle du FN.