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Slate.fr
À son tour, Macron s’abaisse à instrumentaliser l’immigration
Claude Askolovitch Journaliste
Article mis en ligne le 18 septembre 2019

Dans l’espoir de séduire l’électorat lepéniste, le président ressort les vieux clichés du bourgeois humaniste et de l’ouvrier xénophobe.

Pour les avertir contre l’indulgence dont ils feraient preuve sur l’immigration, Emmanuel Macron demande à ses partisans de ne pas devenir « un parti bourgeois ». On pourrait sourire de ce déni car enfin, qu’est-ce-que la République en marche sinon précisément un parti bourgeois, la quintessence du parti de la bourgeoisie ? Bourgeoisie d’affaire, bourgeoisie d’entreprise, bourgeoisie de culture, bourgeoisie convaincue d’être par son mérite en charge de la société, devant porter le fardeau du pays et montrer le chemin aux classes populaires qui ne comprennent ni leur sort, ni le temps que nous vivons, bourgeoisie se donnant la mission de prospérer pour son propre confort et pour le bien commun... Il n’y a pas de honte, notez bien.

Mais par quelle bizarrerie le président utilise-t-il ce mot, bourgeois, comme un repoussoir ? Il ne s’agit bien sûr que de rhétorique, d’une ruse de langage ; celle-ci n’est pas glorieuse : un homme jadis bienveillant veut extirper la bienveillance de son camp, et pour cela exhume une vieille saleté de notre vieille politique, qu’ont utilisée avant lui tant de cyniques, de méchants, de matamores, on aurait souhaité qu’il fût d’une autre trempe.

Cette saleté dit ceci : (...)

L’amour de l’étranger est un truc de nantis ;
Seuls les richards tolèrent l’immigration, car ils ne la vivent pas dans leurs quartiers protégés. « Les bourgeois de centre-ville, eux, ils sont à l’abri ! », a dit le président ;
Connaître l’immigration, c’est forcément la haïr ;
Le peuple la connaît, lui, la subit dans ses rues et conséquemment la hait ;
Le peuple hait l’immigration, il en devient fou et il en vote mal ;
Il faut alors suivre le peuple pour le ramener au bon vote, et avoir la main dure contre l’immigration ;
Sinon on est un bourgeois, un naïf, égaré de bons sentiments ou de mépris social, et qui préfère le métèque au populo de chez nous.
(...)

Tout dans ce raisonnement est laid. Tout, au surplus, est faux. (...)

L’amour de l’étranger ou, plus simplement, la solidarité liant les pauvres dans l’adversité, subsiste dans les quartiers populaires, en dépit des brutes, en dépit du temps. Les activistes qui militent pour l’immigration ne sont pas des startuppers ni des notaires, ni d’anciens banquiers de préférence. Ces personnes du Secours catholique qui nourrissent étrangers et Roms dont nul ne veut, celles de la Roya qui cachent les sans-papiers, les marins stoïques de SOS Méditerranée qui, ce mardi 17 septembre encore, ont sauvé de la noyade quarante-huit de ces migrants qu’il ne faut pas aimer, aucun ne ressemble guère à des louis-philippards ; ils ont de la bourgeoisie l’esprit d’entreprise sans doute, mais rien d’autre, et au service du bien. (...)

Rien ne tient dans le cliché qu’à mon grand désarroi le président reprend. Il n’est que méchanceté et destruction. Il fait de la haine le trait dominant des classes populaires, comme si elle ne subissaient pas suffisamment. (...)

on doit bien rire chez les bourgeois, les vrais, d’humilier ainsi ceux que l’on exploite. Poursuivons. (...)

Fossé de fiel

Le raisonnement délégitimise toutes ces personnes promptes à vouer leur existence aux autres ; il interdit toute pensée honnête ; il bannit la compassion ; il fait des militants salvateurs de notre honneur des ennemis du peuple : la propagande vichyste ne disait rien d’autre de la Résistance. Tendre la main serait une trahison des nôtres. L’indifférence cynique devient une vertu. Ainsi détruit-on l’âme d’un pays. (...)

J’habite, il se trouve, un quartier populaire, réellement populaire, où la bourgeoisie, l’authentique, ne vient guère. Et je m’en félicite chaque jour. Les enfants d’immigrés sont la majorité dans mon école primaire, et à quel point je m’en fous, que crèvent les racistes. (...)

Je peux parler des heures des injustices que nous subissons, à quelques encablures de la colline du crack, tout près du trabendo de Barbès. Nos rues ne sont pas nettoyées aussi bien que chez les riches, nous avons plus de bruit, nos voisins sont pauvres, des mendiants dorment dans la rue, une fragrance d’urine s’impose en été, des loustics traînent, il y a de la musique sous les fenêtres des enfants.

Je voudrais que l’on accorde à mon coin la même attention qu’au Paris touristique, où la bourgeoisie est à l’abri. Je n’y ai pas droit. Mais pardon : dans mes doléances, l’immigration n’a nulle part. Suis-je naïf ? Il se trouve que je vis là où je vis, et n’ai pas à subir des leçons du peuple venu de l’Ouest parisien. Non, l’immigration n’est pas responsables des chamboulements de ce pays. Quant au vote populiste, comme dit le pouvoir et répètent les gazettes, je ne suis pas sûr qu’il vienne si simplement de l’immigration ; l’injustice a sa part ; l’économie, savez-vous ; et le mépris aussi qui tombe d’en haut, dont on taxa le président Macron, qui s’en est excusé quand les « gilets jaunes » le tenaient au collet. (...)

Boucs émissaires d’ici et d’ailleurs

Ce n’est pas être populaire que d’attribuer aux immigrés les maux d’une société. C’est être fasciste. Je n’ai pas envie d’élaborer ici. Le bouc émissaire, le mal venu d’ailleurs, la subversion étrangère… Vieilles saloperies dont les formes mutent mais dont le fond ne change pas. L’historien Gérard Noiriel, qui compare le xénophobe contemporain Zemmour et l’antisémite de jadis Drumont, le dit mieux que moi. (...)

Il a, quel talent d’acteur, revêtu le costume mité du réalisme. Il faut, pour éviter Le Pen, tutoyer ses thèmes et flatter son public ; il faut, pour amadouer le peuple xénophobe, punir l’immigration ; il faut être ferme, et l’étranger est là pour le prouver. Il dit « régalien », le mot vient en bouche. Il découvre, le président, que la diversité nous peuple et n’a rien de simple. La belle affaire, mais où vivait-il avant ? Il redoute, notre chef d’État, des vagues migratoires qui nous submergeraient et c’est une étrange impression d’entendre sa porte-parole, Sibeth NDiaye, femme de gauche et binationale, parler comme une lectrice du Camp des saints, ce pauvre roman servant de guide à l’extrême droite.

En deux ans, le macronisme est devenu cette reddition. N’y avait-il donc pas de moelle ? N’était-ce que gloriole, ou n’est-il que ruse ? (..)