
Menaces de mort, climat de peur, départ de professeurs… Reportage dans l’épicentre de la guerre menée par le gouverneur Ron DeSantis contre le « wokisme » dans les écoles de Floride.
A première vue, le New College of Florida semble être l’endroit idéal pour faire ses études. Fondée en 1960, cette université de 600 élèves, posée au bord de la baie de Sarasota, respire la tranquillité avec ses hamacs et sièges colorés au pied des palmiers (...)
« Pour le moment, c’est un endroit où l’on se sent en sécurité, mais tout cela pourrait changer », raconte Chai Leffler, étudiant en urbanisme rencontré sur le campus.
La raison : l’OPA « sauvage » lancée en janvier par Ron DeSantis contre l’établissement public d’arts libéraux. Prétextant une érosion des inscriptions, le gouverneur républicain a annoncé en début d’année une reprise en main de cette institution réputée pour ses méthodes d’enseignement progressistes. Il veut en faire un fleuron de l’éducation conservatrice sur le modèle du Hillsdale College, une université chrétienne du Michigan. (...)
La présidente a été remplacée par un ancien élu républicain, et six proches de Ron DeSantis ont été nommés au conseil d’administration. Parmi eux, le militant conservateur Christopher Rufo, un opposant farouche à l’enseignement de sujets LGBTQ+ et raciaux en milieu scolaire, qui n’habite même pas en Floride.
La nouvelle direction n’a pas traîné pour effectuer des changements. Les panneaux des toilettes non genrées ont été enlevés. Un café du campus distribue désormais des gobelets sur lesquels on peut lire des passages de la Bible. Et des équipes sportives masculines et féminines vont être formées à la rentrée. Une décision qui pourrait, selon ses critiques, changer la population et la culture de cette université connue pour son importante communauté LGBTQ+, qui représenterait la moitié des inscrit·es. (...)
Livres interdits
De toutes les politiques menées par Ron DeSantis, celles sur l’éducation sont certainement les plus controversées, et les plus inquiétantes. Depuis l’arrivée au pouvoir du gouverneur en 2018, sa croisade « anti-woke » l’a amené à interdire les discussions autour du genre et de l’orientation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires. Il a institué de nouveaux contrôles sur les livres disponibles dans les bibliothèques scolaires pour bannir les ouvrages jugés inappropriés. Parmi eux, on trouve des œuvres de l’autrice noire Toni Morrison, Prix Nobel de littérature, sur l’esclavage.
Il a aussi bloqué la mise en œuvre d’un nouveau programme d’études afro-américaines au lycée, jugeant qu’il allait à l’encontre de sa loi « Stop WOKE » (« Wrongs to Our Kids and Employees »). Celle-ci interdit l’enseignement de toute thématique qui pourrait provoquer de « l’angoisse, la culpabilité ou toute autre forme de détresse psychologique » chez les jeunes. Ses critiques y voient une tentative de tuer toute discussion autour du racisme et du suprémacisme blanc dans les salles de classe.
L’enseignement supérieur n’est pas épargné non plus. Le gouverneur a mis un terme aux initiatives de diversité et d’inclusion destinées à accroître la présence de minorités raciales dans les universités publiques. Il a également fait interdire toute instruction autour des « politiques identitaires » ou du racisme institutionnel. (...)
Il a saupoudré le tout d’une dose de flicage. Non seulement les étudiant·es ont depuis 2021 le droit d’enregistrer leurs professeur·es sans leur consentement, mais les président·es d’université ont désormais plus de liberté pour remettre en cause le statut de titulaire (« tenure ») des membres de leurs facultés. Une mesure qui pourrait fragiliser l’indépendance de leurs recherches et la sécurité de leur emploi. (...)
« Un climat de peur dans les écoles »
Haut lieu artistique et balnéaire, politiquement modérée, Sarasota est au cœur de cette bataille pour le contrôle de l’enseignement. Comme dans d’autres parties du pays, les ultraconservateurs ont pris le contrôle, par les urnes, du « school board » local, un conseil de cinq membres qui se prononce sur la gestion des écoles publiques de la région, de la maternelle au lycée.
Sa nouvelle présidente n’est autre que Bridget Ziegler, la cofondatrice de Moms for Liberty, une association de « droits parentaux » née en réaction aux politiques de port du masque pendant le Covid. Soutien indéfectible de « l’anti-wokisme » de Ron DeSantis, la militante est l’épouse du président du parti républicain de Floride. (...)
« Les politiques de Ron DeSantis ont créé un climat de peur dans les écoles, où l’on n’ose plus parler librement. C’est dangereux, régressif et fasciste », lance Zander Moricz, un ancien lycéen de Sarasota et fondateur de SEE Alliance, un groupe qui cherche à mobiliser la jeunesse contre les politiques anti-LGBTQ+ du gouverneur (...)
Au total, un quart du corps enseignant de la petite université serait sur le départ, estime la professeure Amy Reid, membre du conseil d’administration et critique de Ron DeSantis. « Nous vivons une période très stressante car il est difficile d’aider les étudiant·es sans savoir ce qui va se passer l’an prochain, et de chercher des remplaçant·es pour nos collègues qui partent, dit-elle. Trouver des gens pour venir enseigner en Floride en ce moment, ce n’est pas gagné. » C’est probablement ce que veut Ron DeSantis.