
Dans une enquête que Gaël Perdriau a tenté de faire censurer, Mediapart révèle que le maire de Saint-Étienne a lancé une rumeur criminelle, dont il reconnaît aujourd’hui qu’il s’agit d’une pure calomnie, contre le président de région Laurent Wauquiez. À l’hôtel de ville, des anciens collaborateurs décrivent un quotidien empoisonné par la rumeur, utilisée comme un instrument politique.
(...) Dans leurs investigations sur les pressions exercées contre l’ancien premier adjoint Gilles Artigues, victime pendant des années d’un chantage à la diffusion d’une vidéo intime, les policiers ont mis la main sur un enregistrement confondant sur les méthodes de Gaël Perdriau (Les Républicains), qui propage lui-même, fin 2017, une rumeur infâme contre une autre personnalité politique de premier plan. Cinq ans plus tard, le maire de Saint-Étienne a dû reconnaître auprès de Mediapart que ses propos n’étaient que pure calomnie. (...)
Dans cet échange, qui s’est tenu au cours d’une réunion de travail dans son bureau de l’hôtel de ville en présence de son directeur de cabinet et de Gilles Artigues, Gaël Perdriau accuse à tort le président de la région Laurent Wauquiez, membre du même parti que lui mais qu’il voue aux gémonies, de la pire des choses : être un pédocriminel.
Cette accusation est proférée sur fond d’un double règlement de comptes politique. D’un côté, Gaël Perdriau reproche à Gilles Artigues, dont il craint les velléités politiques au niveau local, de vouloir s’émanciper de lui. De l’autre, il voit Laurent Wauquiez comme un adversaire sur la scène nationale.
Questionné sur les raisons qui l’ont poussé à tenir des propos aussi terribles, Gaël Perdriau, qui, en tant que maire, est à la fois une autorité de police administrative et un officier de police judiciaire, a confirmé auprès de Mediapart être l’auteur de cette calomnie, reconnaissant lui-même que ses accusations étaient parfaitement infondées.
« Ces propos sont grossiers et sans fondement, mais tenus dans le cadre privé et restreint de mon bureau, dans un moment d’extrême tension avec mon premier adjoint au sujet d’un élu de la région », a-t-il argué, dans une réponse écrite. (...)
Ces réponses ont été adressées à Mediapart vendredi 18 novembre, à 12 h 57. Moins de trois heures plus tard, un huissier de justice notifiait à Mediapart une ordonnance, rendue par un magistrat du tribunal judiciaire de Paris à la demande de Me Christophe Ingrain, avocat de Gaël Perdriau, nous interdisant de publier notre article, au prétexte qu’il porterait atteinte à sa vie privée.
Cette censure préalable à la publication d’une enquête – du jamais-vu de mémoire de juristes et de journalistes – a suscité une vague d’indignation chez les journalistes, les professionnel·les du droit, ainsi que dans le monde politique. Douze jours plus tard, ce mercredi 30 novembre, la magistrate ayant prononcé cette mesure liberticide a rétracté son ordonnance, permettant la publication de l’article. (...)
Des reproches minimes, des accusations gravissimes
Les dires de Gaël Perdriau sont tirés de l’enregistrement d’une réunion de travail, le 27 novembre 2017, au cours de laquelle il sermonne, comme souvent, son adjoint Gilles Artigues, dénonçant son prétendu manque de loyauté. Le maire de Saint-Étienne, élu en 2014 au terme d’une alliance contrainte avec Gilles Artigues, qui rêvait aussi d’accéder à l’hôtel de ville, s’est toujours méfié de son allié.
Lors de cette conversation, Gaël Perdriau menace d’ailleurs directement son adjoint en expliquant qu’il pourrait être amené à diffuser avec « parcimonie » et par « petits cercles » des informations relatives à la sextape dont il a été victime. Trois ans plus tôt, Gilles Artigues a été filmé, à son insu, par un des proches du maire de Saint-Étienne – son adjoint à l’éducation Samy Kéfi-Jérôme (qui a démissionné à la suite des révélations de Mediapart) – dans une chambre d’hôtel à Paris avec un escort boy. Pendant des années, ce matériau a servi de moyen de pression pour contenir l’influence de l’élu centriste.
Dans un autre enregistrement déjà divulgué par Mediapart, le directeur de cabinet de Gaël Perdriau a aussi indiqué, en la présence du maire, que si Gilles Artigues se risquait un jour à dénoncer ce dont il était victime, il n’hésiterait pas à envoyer une copie de la sextape aux parents d’élèves de l’école de ses enfants… « Je pense que vos enfants ne s’en remettront pas », déclare dans cette réunion le bras droit du maire à Gilles Artigues, en assumant sans ambages être « sans foi ni loi » et se comporter « comme un criminel ».
Prisonnier de cette situation, dont il n’a jamais parlé à personne, pas même à sa famille, l’élu centriste, aux convictions catholiques conservatrices affirmées, a subi ces pressions pendant des années. Il a même envisagé de se suicider, voyant dans ce geste funeste le seul moyen de mettre un terme au calvaire qu’il vivait. C’est pour cette raison qu’il a entrepris d’enregistrer des réunions à la mairie, de manière à laisser une preuve à ses proches de ce qu’il a enduré pendant des années. (...)
Questionné à plusieurs reprises par l’intermédiaire de son service de presse sur la violence des propos rapportés par d’anciens collaborateurs, Gaël Perdriau n’a pas répondu. Ironie de l’histoire : le maire de Saint-Étienne, qui a formé un recours contre son exclusion des Républicains, a annoncé le 13 octobre son intention de porter plainte contre son propre parti, en dénonçant la « violence des propos tenus » à son encontre depuis les premières révélations de Mediapart. (...)
Depuis le déclenchement de l’affaire, Gilles Artigues a aussi été visé par les lettres d’un mystérieux « corbeau », qui a dénoncé le recrutement de l’élu à la tête de l’enseignement catholique dans le diocèse d’Albi, selon La Dépêche. « Mais où va donc l’Église ? On n’a pas trouvé mieux pour représenter les directeurs d’école », est-il notamment écrit dans cette lettre anonyme emplie d’homophobie qui a été adressée au quotidien régional, mais aussi à l’employeur de Gilles Artigues. (...)
D’autres anciens collaborateurs de Gaël Perdriau, contactés par Mediapart, témoignent d’une atmosphère irrespirable à l’hôtel de ville, avant même la révélation du chantage à la vidéo. (...)
« Un élu qui apparaît comme un calomniateur porte atteinte à un contrat moral du jeu politique ». Philippe Aldrin, sociologue et politiste (...)
En effet, ajoute-t-il, « si un élu apparaît comme calomniateur ou diffamateur, il porte d’une certaine manière atteinte à un contrat moral du jeu politique, parce que calomnier à dessein les gens, d’un point de vue éthique, cela est condamnable ».
Et de conclure : « Il y a en politique cette idée qu’il y a des coups acceptables, relevant de la tactique, mais qu’on ne peut pas tomber dans le cynisme, que l’on ne peut pas salir la réputation d’une personne, colporter des choses qui vont durablement porter atteinte à une réputation, à sa famille ou ses enfants. »
C’est sans nul doute la raison pour laquelle Gaël Perdriau a tout fait pour empêcher la parution de cet article qui révèle une calomnie qu’il ne peut assumer devant les élu·es de sa majorité, devant son conseil municipal et, surtout, devant ses administré·es.