Si la réputation du sel gris de Guérande n’est plus à faire, son mode de production entièrement naturel reste méconnu. Sa récolte est le fruit du travail artisanal des membres d’une coopérative qui pratique l’entraide et la protection de l’environnement.
Après la Seconde Guerre mondiale, notamment avec l’arrivée des frigos, l’activité du sel est en déclin, les exploitants vieillissent et les marais sont presque à l’abandon. Le sel ne fait plus le poids face aux emplois des chantiers navals de Saint-Nazaire ou ceux du tourisme, en plein boom. Un énorme projet touristico-immobilier, avec marina, rocade de contournement de La Baule et marais salants réduits à une portion congrue et folklorique, prévoit le comblement de la zone et excite les appétits des promoteurs et entrepreneurs de tout poil. Par ailleurs, les Salins du Midi, filiale du groupe Suez, tentent de prendre le contrôle du territoire.
Un esprit combatif et créatif qui n’est pas sans rappeler celui du Larzac à la même époque
Un mouvement de résistance s’enclenche alors au sein de la population. Blocage d’un bateau de sel sicilien (une manœuvre des Salins du Midi), pièce de théâtre montée localement, manifestations, constitution de 17 associations engagées dans des actions tous azimuts, mobilisation de la presse régionale voire nationale… Le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur et fédère largement, dans un esprit combatif et créatif qui n’est pas sans rappeler celui du Larzac à la même époque. Les élus locaux commencent à refuser de voter les budgets pour la rocade et, en 1971, les pouvoirs publics reconnaissent l’intérêt de conserver l’exploitation traditionnelle du sel.
Un groupement foncier agricole se monte pour stimuler l’achat de terrains et un groupement de producteurs, avec une majorité de néo-ruraux « venant d’ailleurs », se constitue en 1972. Dans une extraordinaire dynamique, quantité d’actions sont entreprises pour obtenir la reconnaissance du site comme zone naturelle à protéger [1] et construire toute une filière économique structurée, artisanale et solidaire. Aux antipodes de ce qu’avait été la profession jusqu’alors : soumise à un droit coutumier archaïque de location sans bail avec obligation de livrer un tiers de la récolte aux propriétaires. (...)
Depuis 1988, le groupement de producteurs est devenu la coopérative les Salines de Guérande. Après une longue suite de batailles, la quasi-totalité de la zone des marais a été remise en exploitation, de façon profitable et écologique. La reconquête totale par l’installation de jeunes est visée d’ici à 10 ans. Ce site restreint, 2.000 hectares, est découpé en petites parcelles adaptées à une exploitation 100% artisanale, sans aucune mécanisation (en Europe, seules les salines de l’Algarve, au Portugal, sont aussi dans ce cas). (...)
Les 200 paludiers et paludières (elles sont 15 %) des Salines mettent en commun chaque année la totalité de leurs récoltes, maigres ou abondantes selon les conditions météos [2]. Dans tous les cas, le prix d’achat est garanti et permet de vivre décemment de son travail. Il est déterminé chaque année en conseil d’administration, soit 12 à 15 personnes élues par l’ensemble des membres coopérateurs. Chaque paludier et paludière travaille à sa guise, mais l’entraide est omniprésente. Les travaux d’entretien, l’hiver, se font en groupes, de même que la remise en état de parcelles.
Cependant, la coopérative ne se limite pas au travail artisanal et un peu hors du temps dans les marais. Elle s’est rendue indépendante en intégrant toutes les activités de la chaîne (...)
La coopérative se veut aussi solidaire, au-delà de la dimension collective de son fonctionnement et de l’entraide entre membres. Un partenariat avec un établissement et service d’aide par le travail (Esat) fournit du travail à une quarantaine de personnes handicapées. Grégory précise : « C’est un vrai partenariat. Ils sont à côté, nous avons formé des salariés chez eux et participé à certains de leurs investissements. » Par ailleurs, l’association Univers-Sel, qui développe des méthodes de production salicole et rizicole écologiques et peu coûteuses en Afrique de l’Ouest, a été montée par des membres de la coopérative, qui reste son principal financeur privé. (...)
Si la coopérative accorde une attention prioritaire à son rôle de protection de l’écosystème des salines (voir l’appui ci-dessous), elle se sent plutôt impuissante face au réchauffement climatique. Grégory explique que « si la mer monte d’un mètre, on ne pourra rien faire. Et pour affronter les accidents climatiques, les tempêtes, la seule chose à faire est d’avoir des digues en parfait état. Elles sont entretenues par une association de propriétaires et nous avons abondé son budget, à hauteur de 80.000 euros, pour la période 2015-2017, en lien avec une aide publique. Nous avons proposé que ce système d’abondement soit pérennisé et que toutes les parties prenantes y participent, mais nous n’avons pas été suivis ». En revanche, pour la qualité des eaux de mer, Grégory se montre plutôt confiant quant à l’action des pouvoirs publics. (...)