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Le Monde Diplomatique
À Gibraltar, dernière colonie d’Europe
Article mis en ligne le 7 avril 2017
dernière modification le 5 avril 2017

En votant très massivement contre le « Brexit », les habitants de Gibraltar ont montré leur attachement à l’Union européenne, qui leur accorde de nombreuses dérogations et joue les médiateurs avec l’Espagne. D’une superficie à peine plus grande que celle du 20e arrondissement de Paris, ce territoire est à la fois l’un des plus riches du monde et le dernier à décoloniser en Europe, selon les Nations unies.

(...) Colonie de la couronne britannique, Gibraltar ne fait pas partie de l’espace Schengen. Les autorités espagnoles peuvent donc renforcer les contrôles aux abords de ce port franc où les biens et les services sont exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (1). « Ces dernières années, la crise économique qui frappe l’Espagne a poussé certains chômeurs à la fraude. Une pratique qui a fait grimper les quantités de tabac confisquées », explique un membre de la Guardia Civil. (...)

L’Espagne, qui réclame la souveraineté sur la colonie, utilise à des fins politiques les inspections douanières, qui s’ajoutent à celles de la police à cette frontière de l’espace Schengen et entravent la circulation dans la zone. Alors que le contentieux s’était apaisé sous le gouvernement du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011), l’accession au pouvoir, en 2011, des conservateurs du Parti populaire (PP) a ravivé la revendication de ce territoire à vocation militaire cédé à perpétuité aux Britanniques par le traité d’Utrecht, en 1713. « Jamais abandonnée, l’ambition de récupérer le Rocher [le surnom de cette colonie couronnée par un monolithe calcaire culminant à 426 mètres] a resurgi sous la dictature de Francisco Franco [1939-1975], qui est allé jusqu’à fermer la frontière à partir de mai 1968, rappelle Jesús Verdú, professeur de droit international à l’université de Cadix. Alors vue comme un ennemi, la colonie fait encore de nos jours vibrer la corde patriotique des Espagnols. Pourtant, il existe une grande méconnaissance de ce qu’est réellement Gibraltar : le moteur économique de la zone. » (...)

La plupart des 120 000 habitants du Campo de Gibraltar, une « comarque » (division administrative espagnole) voisine de 1 500 kilomètres carrés formée par sept municipalités espagnoles, s’opposent à la restitution du Rocher. Dans cette région ravagée par un chômage de 35 %, la colonie a généré en 2013 près de 25 % du produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que six ans plus tôt, d’après un rapport publié en 2015 par sa chambre de commerce. « Ceux qui, aux alentours, ont perdu leur emploi après la crise de 2008 en ont rapidement retrouvé un ici, où le chômage est pratiquement inexistant, indique M. Edward Macquisten, directeur de la chambre de commerce de Gibraltar. (...)

Après avoir pris en 2002 des engagements visant « à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges de renseignements en matière fiscale (2) », le territoire n’est plus considéré comme un paradis fiscal par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourtant, avec un impôt sur les bénéfices de 10 %, contre 30 % en Espagne, son régime fiscal très avantageux attire les entreprises, qui y élisent domicile uniquement pour réduire leurs coûts de fonctionnement, alors qu’elles exercent leurs activités dans d’autres pays. (...)

Au litige relatif aux eaux territoriales s’est ajouté celui sur l’espace aérien. L’emplacement de l’aéroport local est contesté, car il appartient à une zone que les Gibraltariens se sont octroyée au XIXe siècle. Durant celui-ci, la fièvre jaune frappa à plusieurs reprises la colonie, et les Espagnols accordèrent à leurs voisins le droit d’installer un camp temporaire pour les valides au-delà des limites terrestres fixées par le traité d’Utrecht. Mais le camp se pérennisa après la fin de l’épidémie (...)

Si ses habitants ont voté massivement (à 96 %) pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, Gibraltar bénéficie d’un statut unique et déroge à de nombreuses dispositions communautaires : en plus d’être dispensée de prélever la TVA, elle n’est concernée ni par l’union douanière, ni par la politique commerciale, ni par la politique de pêche commune. (...)