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Orient XXI
À Gaza, c’est l’avenir des Palestiniens qui s’invente
Article mis en ligne le 17 juillet 2018

C’est une conversation à cœur ouvert qu’Orient XXI a eue avec Leïla Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine à Paris et à Bruxelles auprès de l’Union européenne. Elle y aborde sans langue de bois et sans tabous l’intifada pacifique de Gaza, le processus d’Oslo, la colonisation de la « Jérusalem métropolitaine », l’affaiblissement de l’establishment palestinien et le péril que représente l’infléchissement des positions arabes. Elle replace le conflit avec Israël dans le temps long et rappelle avec force que la question des réfugiés demeure centrale.

Si la Palestine est finalement choisie, c’est que les Britanniques y voyaient leur intérêt, et pas seulement pour ses rapports avec l’Ancien Testament. Des propriétaires juifs tels que Lord Rotshild (citoyen français) ont acheté des terres en Palestine, et la première chose qu’ils ont faite a été de mettre à la porte les paysans palestiniens, afin d’accorder l’exclusivité du travail aux juifs. (...)

Dans les pays où ils vivaient, les juifs n’étaient pas constitués en classes sociales, mais en « communautés ». C’est là où Ben Gourion a été visionnaire : il fallait créer une nation, littéralement à partir de rien. Si Shlomo Sand dit qu’il n’y a pas de « peuple » juif1, il veut dire, à juste titre, que les habitants juifs du Yémen, de France, d’Argentine ou d’Allemagne sont ethniquement et culturellement différents, et appartiennent à des peuples différents.

L’idée de chasser les paysans était machiavélique ; elle a entamé le processus de dépossession des Palestiniens bien avant 1948. (...)

’est cela, la Nakba : l’insidieuse et entière dépossession des Palestiniens. On a découvert, grâce aux travaux du grand historien Walid Khalidi, le Plan Dalet (1947) pour vider la Palestine de ses habitants2 et grâce à Benny Moris, nouvel historien (« repenti »), que Ben Gourion avait donné des instructions écrites pour faire partir le plus grand nombre possible de Palestiniens, afin que ce pays à majorité arabe devienne un pays à majorité juive.

Il ne s’agit pas d’un génocide — dire cela c’est faire du tort à la cause palestinienne —, mais c’était sans aucun doute le premier nettoyage ethnique du XXe siècle.

L’EXPULSION A COMMENCÉ DÈS LES ANNÉES 1920(...)

Mon grand-père maternel Jamal Husseini les représentait à ce moment-là. Son discours aux Nations unies en novembre 1947 est enregistré dans le film de Simone Bitton, Palestine : histoire d’une terre. « Nous n’acceptons pas le plan de partage, avait-il dit, mais nous invitons les juifs à venir vivre avec nous, nous sommes prêts à procéder à des élections, chaque citoyen ayant le même droit de vote et nous bâtirons un pays démocratique pour juifs, chrétiens et musulmans. » Mais eux ne voulaient pas de ce pays « laïc » en quelque sorte, puisqu’ils voulaient un État juif. Le plan de partage a donc été accepté uniquement par les juifs, avec l’idée d’une base de départ pour élargir ensuite le territoire.(...)

Le lendemain même du plan de partage du 29 novembre 1947, les milices de la Haganah précurseurs de l’armée israélienne annoncent qu’elles vont attaquer tous les villages des territoires alloués à la Palestine. Et là elles dynamitent des villages entiers, 480 villages palestiniens incendiés, des populations massacrées. Parce qu’il fallait à tout prix les faire partir, faire basculer la démographie de ce pays d’une majorité arabe à une majorité juive. Ma mère m’a raconté comment les mégaphones sillonnaient les villes et villages après Deir Yassin3 pour faire entendre cette menace : « Si vous ne voulez pas connaître le sort des habitants de Deir Yassin, prenez vos balluchons et partez ». Ils sont partis. J’insiste là-dessus : le mouvement sioniste est obsédé par la démographie. Et aujourd’hui, en 2018, le traumatisme de ce qui s’est passé il y a 70 ans en 1948 en Palestine — la Nakba — est toujours vivace.(...)

Si en Israël la démographie est une obsession, c’est parce que le mouvement sioniste est hanté par une peur perpétuelle, due au génocide et avant cela aux pogroms des pays européens, et pense que le nombre est la réponse la plus adéquate. Le nombre dans un État exclusif. Le nationalisme des Israéliens est extrême. Mais cette peur est suicidaire, même s’ils croient se protéger par les armes et les bombardements. (...)

De notre côté, nous n’avons aucune difficulté à accepter de vivre dans un pays multi-ethnique, multiculturel, parce que nous n’avons pas peur. D’ailleurs les juifs étaient très bien traités dans les pays arabes, même en tant que minorité, puisqu’ils étaient ministres, chefs d’entreprise, occupaient des poste élevés tels que celui de conseiller du roi du Maroc, formaient l’élite de l’Irak ou du Liban au moment même où en Europe ils connaissaient l’horreur des chambres à gaz.(...)

Les Israéliens ont très peur que les Palestiniens réclament le droit au retour, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU de décembre 1948, alors que ce droit est reconnu partout par la communauté internationale.

Le fond du problème, on ne le répétera jamais assez, même si on n’en a plus parlé pendant un certain temps, c’est 1948. Tout découle de là. C’est par magnanimité, par souci de compromis en vue de la paix que nous avons accepté de réduire notre État à la Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza parce que ces territoires abritent le plus grand nombre de Palestiniens. Cela ne veut pas dire que le reste du territoire n’en faisait pas partie. Alors que les Israéliens, eux, sont venus de Russie, d’Espagne, d’Allemagne, de France, du Yémen, du Maroc.

Aujourd’hui, 70 ans après, il y a bien un peuple israélien. Et Yasser Arafat a été une figure historique qui a eu le sens des responsabilités et la force de dire en 1988 à Alger : nous sommes pour une solution de coexistence, nous acceptons un État sur une partie de notre patrie, à savoir la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem, et nous n’allons pas chasser les juifs de leurs habitations, même si le plan de partage nous donnait la Galilée et le « triangle » (espace entre Jénine, Tulkarem et Naplouse). Or, cet État ne fait plus que 22 % de la Palestine (contre 44 % selon le plan de partage). Pourtant, même ces 22 %, Benyamin Nétanyahou et le mouvement sioniste actuel ne sont pas disposés à les accepter. C’est pour cela qu’ils sont en train de grignoter les territoires avec leurs colonies.(...)

Lorsque nous avions négocié les accords d’Oslo, nous avons trouvé un interlocuteur comme Yitzhak Rabin, assez responsable pour négocier vraiment, bien plus que Shimon Peres. Ce dernier, bien que « chouchou » des Européens, était un opportuniste qui a suivi Ariel Sharon aveuglément pour rester ministre. Alors que Rabin, qui avait pourtant ordonné que l’on brise les os des manifestants palestiniens lors de l’intifada, était sérieux lorsqu’il négociait. Il assumait son rôle de patriote israélien qui cherchait réellement la paix.

N. Y. — Vous pensez que c’est pour cela qu’il a été assassiné ?

L. S. — Je le pense. Et Oslo est mort après lui. Donc, le sujet qui rend fou les Israéliens c’est bien celui des réfugiés. Lorsqu’ils sont entrés aux Nations unies en 1948, ils ont été obligés de reconnaître toutes les résolutions concernant la Palestine et Israël votées avant leur admission. La première c’est la résolution 181, celle du plan de partage, puis la résolution 194, celle du droit au retour. Ils l’ont reconnue, mais ne l’ont jamais appliquée. De notre côté nous disons : bien sûr que nous n’allons pas ramener 6 à 7 millions de réfugiés, mais nous exigeons la reconnaissance de leur droit au retour.(...)

Les journalistes parlent de Gaza sans vraiment savoir ce que c’est : à savoir une étroite bande de terre de 356 km2. C’était la plage où ma mère allait, enfant, jouer avec son père à tendre des filets pour les oiseaux. C’était un endroit magnifique où il y avait à peine quelques milliers d’habitants. Il y avait trois villes : Gaza, Khan Younès au sud et Jabaliya au nord. Voilà tout. Maintenant, il y a deux millions d’habitants qui sont dans leur immense majorité des réfugiés de tous les villages autour de Gaza, détruits en 1948. (...)

Gaza est par excellence la ville des réfugiés. On l’appelle « la Soweto palestinienne ». La densité de peuplement est la plus élevée du monde. Ils sont les uns sur les autres. Ce sont des dizaines de kilomètres de camps de réfugiés, vivant dans la misère, assiégés par terre, air et mer. L’armée israélienne s’est certes retirée de l’intérieur de Gaza en 2003, mais elle n’a pas quitté les frontières terrestre, aérienne et maritime, comme on l’a vu dans les reportages ; elle interdit même aux pêcheurs d’aller au-delà de quelques kilomètres. Elle domine le ciel avec ses F16 et tous les drones qu’elle fabrique et qu’elle importe. Et ce blocus fait que selon le droit international, Gaza est toujours occupée. (...)

Peu de gens savent qu’en 2005, Sharon avait refusé de restituer le territoire occupé de Gaza à l’Autorité palestinienne (AP) et choisi volontairement de la laisser au Hamas, créant ainsi les conditions du chaos après leur départ. C’était un coup très habile de Sharon qui voulait se concentrer sur la Cisjordanie. Il a aussitôt commencé à construire le mur. Exactement au même moment où il se retirait de Gaza. En fait, toute la bataille des Israéliens vise à prendre du territoire sans population, c’est ça l’objectif principal : des terres à coloniser. Ils ne veulent pas d’habitants, on en revient toujours à l’obsession démographique. C’est la raison principale du retrait de Gaza : mieux coloniser la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.(...)

Les États-Unis ont supprimé une aide de 65 millions de dollars destinée à nourrir les réfugiés dans les camps. Et tandis que le ministre suisse des affaires étrangères adoptait la même attitude, le haut-commissaire suisse de l’Agence, Pierre Krähenbül — un homme remarquable par son dévouement et son travail — faisait le tour de l’Europe en avertissant contre l’explosion de « dix Daesh » avec une telle décision. En effet, les habitants des camps ne vivent que de l’aide de l’UNRWA. Les écoles sont des écoles de l’UNRWA, les cliniques sont des cliniques de l’UNRWA et l’aide aux familles les plus pauvres c’est l’UNRWA, depuis 70 ans.

La hasbara accable le Hamas pour délégitimer le mouvement des jeunes. Mais les jeunes répondent à Trump par leur manifestation. Personne dans les médias n’a souligné que c’était l’une des raisons de leur action. Il faut apprendre à décoder. (...)

les jeunes ont décidé de prendre la relève. Ils rejettent le Hamas parce qu’en onze ans de gouvernement, il n’a fait que poursuivre ses ambitions politiques et financières et n’a rien fait pour la population gazaouie. Ils honnissent l’AP parce qu’ils trouvent qu’elle est corrompue et que cela fait onze ans qu’elle n’a plus mis les pieds à Gaza, depuis les élections remportées par le Hamas en 2006. Elle s’est laissé entraîner malheureusement par les Américains et les Européens dans une parodie théâtrale honteuse par laquelle le résultat des élections était rejeté.(...)

D’une part les jeunes disent à l’AP : « Nous ne voulons pas de vous, car vous nous avez abandonnés ». Mais ils s’adressent aussi au Hamas : « Par vos stupides attaques à la roquette artisanale, des tuyaux que vous bourrez de produits organiques pour l’agriculture, lancés contre des villes comme Sderot, dont les habitants sont de pauvres civils, vous nous avez attiré des représailles dévastatrices. » (...)

Les jeunes voulaient un mouvement de masse, mais non violent, et ils ont tenu bon malgré tout, car la tentation est grande à Gaza, où les armes circulent à bas prix : on peut y acquérir une Kalachnikov pour 20 dollars… Et ils se montrent très inventifs (...)

On voit bien à quel point la mémoire des peuples retient les leçons des luttes pour la décolonisation. Ils comprennent la puissance de la non-violence. Même face à cette violence entre toutes qu’est l’occupation militaire. Malheureusement, le monde ne retient que les images à la télévision de kamikazes ou de tueurs de Daesh. Ils ne voient pas la violence des États, le terrorisme d’État qu’exerce Israël sur des populations civiles. Personne n’ose le dénoncer en tant que tel. Moi c’est grâce à ces jeunes que j’ai retrouvé l’envie de parler de nouveau. Ils redonnent du sens à la lutte, ils ravivent l’espoir.(...)

LE PLAN AMÉRICAIN EST UNE FARCE(...)

C’est la plus grande arnaque du siècle. Les seuls qui n’ont pas été consultés sur ce « deal », ce sont les Palestiniens. Donald Trump a consulté, avec son gendre Kushner et son ami Greenblatt qui sont des défenseurs des colonies, les Saoudiens, les Émiratis, les Bahreïnis, les Égyptiens, les Jordaniens, mais pas les Palestiniens. Par conséquent les Palestiniens ne se sentent absolument pas concernés par ce plan, et à la rigueur cela ne les intéresse même pas, ils n’essaient même pas de savoir ce qu’il contient, tellement c’est offensant. (...)
TRUMP ENTRAÎNE LA RÉGION DANS UNE NOUVELLE GUERRE
Nous sommes en train de vivre une nouvelle Nakba, car tous ces éléments sont nouveaux. Avant, nous avions les Arabes avec nous. Nous avions les Européens, qui étaient plus forts avant l’élargissement à 28. L’UE a reconnu à Venise en 1980 le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Aujourd’hui, elle critique les colonies, mais accepte leurs produits sans les taxer. Quant aux États-Unis, c’est du jamais vu, après Bill Clinton, Barack Obama ; même George H. W. Bush avait un minimum de décence. On n’a jamais vu un personnage aussi irresponsable, ignare, vulgaire et dangereux, qui ne connaît pas le B-A BA des relations internationales. Ce monsieur est en train de battre en brèche tous les accords qui gèrent la paix dans le monde, dont l’accord sur l’Iran, seule possibilité de limiter la course à l’armement nucléaire dans cette région, et il veut taxer toutes les compagnies qui continuent à travailler avec les Iraniens, dont beaucoup de sociétés françaises. Trump s’est aussi retiré de la COP21, faisant fi de la pollution, du réchauffement climatique. Il est en train de mener une guerre commerciale contre la Chine, l’UE, une guerre contre l’ONU. C’est un danger universel, il faudrait l’enfermer, car il menace la paix dans le monde entier.

Trump risque d’entraîner la région du Proche-Orient dans une nouvelle guerre, car il a trouvé en Nétanyahou un « va-t-en-guerre » comme lui. (...)