
L’extrême-droite possède une tactique vieille comme l’extrême-droite : l’injonction au débat. C’est une arme extrêmement puissante qui joue sur nos valeurs progressistes pour les retourner contre nous.
Si on accepte, on a perdu car on leur donne une tribune. Si on refuse, ils érigent le débat comme la valeur suprême de la démocratie (ou plutôt font semblant, comme on va le voir). La démocratie vient donc d’être mise en péril par ce refus de débattre. Ils crient à la censure, jusqu’à ce qu’on finisse par accepter.
Avant, ça nous paraissait évident. Rappelle-toi, Chirac en 2002 qui refuse de débattre avec Jean-Marie Le Pen au second tour. À cette époque, personne ne trouvait à y redire.
Mais les choses ont changé. Aujourd’hui on a désormais énormément de personnes qui se plaignent en disant que c’est un manque de respect et qu’il aurait fallu accepter le débat.
On va donc voir ensemble pourquoi, il ne faut quand même jamais débattre avec l’extrême-droite. Pourquoi il faut la laisser se plaindre de la censure sans bouger une oreille. (...)
les dangers qu’on va étudier viennent exclusivement du fait que l’on tienne ce débat devant un public. (...)
Principe #1 | L’extrême droite n’est ni inculte, ni stupide, ni méchante
Une des erreurs les plus courantes est de croire qu’il faut être bête, inculte ou méchant pour être d’extrême-droite. D’ailleurs, ça ne se limite pas à l’extrême-droite. (...)
Il ne suffit donc pas de leur montrer qu’ils ont tort
L’extrême-droite n’a pas la science comme valeur. Bien au contraire. Par conséquent, leur montrer qu’ils ont scientifiquement tort n’a aucun impact sur eux.
Sinon, plus personne ne serait d’extrême-droite puisque toutes leurs thèses ont été invalidées par les sciences sociales. (...)
Dire à quelqu’un d’extrême-droite qu’il a tort scientifiquement revient à dire à un platiste que la science a montré que la Terre est ronde. Ça glisse sur lui sans le moindre effet. Sinon il ne serait pas platiste.
Les gens d’extrême-droite ne le sont pas par accident. (...)
Les gens d’extrême-droite ne sont pas stupides
Ce serait si simple si le racisme était le fait de personnes stupides ou pas éduquées. Mais, si c’était le cas, on l’aurait déjà refoulé, comme on a refoulé l’illettrisme. (...)
L’extrême-droite comprend très bien qu’il suffit de passer son temps à lancer des accusations ou des trucs faux courts, sur un ton confiant. De manière à générer en face de longues justifications.
Quand la personne a fini de se dépêtrer on lance une autre accusation. Et ainsi de suite. (...)
Répondre c’est avoir l’air de se justifier. Surtout si on commence à bégayer de surprise. Alors que la personne l’a assené avec assurance. (...)
La personne qui accuse, donne une impression de certitude. Celle qui se justifie donne l’impression d’être en faute. Or, le cerveau juge sur deux variables : la vérité et la posture. Malheureusement, ça veut dire qu’on peut gagner un débat en ayant tort. On peut même gagner un débat en disant très peu de mots. Juste en énervant l’autre pour dire qu’il a perdu ses nerfs. (...)
On ne fait pas de débats publics pour savoir si 1+1=3, ou pour savoir si la Terre est ronde. Parce que sinon ça veut dire qu’on accepte qu’il est possible que 1+1=3 ou que la Terre soit plate. Débattre avec quelqu’un d’extrême-droite sous entend que, si ça se trouve, il a raison.
Personne n’organise de débat “pour ou contre assassiner le président de la République”. Alors pourquoi on organise un débat “pour ou contre l’islamogauchisme” ? (...)
Principe #2| Comprendre les mécaniques d’audience
Les personnes qui n’ont jamais eu d’audience, ont du mal à comprendre qu’il ne faut jamais répondre à un adversaire qui a une audience significativement inférieure à la sienne.
L’extrême-droite le sait pertinemment, mais elle feint de l’ignorer pour mieux se plaindre. (...)
fusionner les audiences par un débat est une manoeuvre suicidaire pour la personne qui a une audience beaucoup plus grosse.
Voilà pourquoi Marine Le Pen a refusé de débattre avec Mélenchon en 2012 dans une émission. À l’époque il avait beaucoup moins d’intentions de vote, qu’elle. (...)
Principe #3| L’extrême-droite n’est pas sincère quand elle appelle à la liberté d’expression ou à la démocratie
Si tu ne devais retenir qu’une chose : retiens ça. La libre expression et la démocratie ne sont pas des valeurs d’extrême-droite. Elle s’en contrefiche. En revanche, elle sait que ce sont des valeurs chères aux autres camps politiques.
Quand elle dit “on me refuse le débat, c’est pas démocratique !” elle nous parodie. Elle n’y croit pas un mot. (...)
L’extrême-droite est pour la liberté d’expression uniquement quand elle est marginale ou en conquête du pouvoir. (...)
Ça marche tellement bien que, même quand elle obtient la parole, l’extrême-droite continue à clamer partout qu’elle n’a pas la parole. (...)
Non seulement l’extrême-droite appelle à la liberté d’expression de manière hypocrite mais en plus elle a une conception du débat très loin de l’objectif démocratique. Pour, elle, le but du débat d’humilier l’adversaire. Une épreuve de force. Une question d’honneur. (...)
ils n’imaginent pas le débat comme un exercice de recherche de vérité mais un duel qui permet de prouver la puissance du chef.
Principe #4| La loi de Brandolini
Loi de Brandolini : certaines bêtise prennent vingt secondes à dire, mais des heures à réfuter. (...)
Le concept du bouc émissaire est consubstantiel au logiciel de l’extrême-droite et il est super pratique.
Débattre avec l’extrême-droite c’est comme vouloir faire un match de boxe avec quelqu’un qui s’autorise l’utilisation d’un couteau. (...)
Au final, le débat c’est aussi un concours de rhéthorique, de capacité à faire rire, de phrases percutantes. (...)
Principe #5| La fenêtre d’Overton
La fenêtre d’Overton est l’ensemble des propos acceptés en public par la société sur un sujet donné. (...)
On ne débat en public que des choses qui sont dans la fenêtre d’Overton. Sinon les téléspectateurs zapperaient immédiatement. Par exemple, si on faisait aujourd’hui un débat sur France 2 qui s’intitulerait “pour ou contre le mariage entre un Noir et une Blanche”… ça déclencherait un tollé.
On ne débat que des idées dont les deux réponses sont dans la fenêtre d’Overton. (...)
Voilà pourquoi il est si important d’imposer des thèmes. Quand Jean-Marie Le Pen a inventé le terme “racisme antiblanc”, il était hors de la fenêtre d’Overton. Le dire en public vous exposait à une condamnation immédiate. Quelques dizaines d’années plus tard et c’est désormais une idée à l’intérieur de la fenêtre d’Overton. On peut en débattre sur une grande chaîne.
Ce processus s’appelle “la normalisation”. Il est utilisé par tous les camps politiques (...)
quand la fenêtre bouge, elle emporte tout avec elle : l’opinion, les lois, la culture… comme un tsunami. (...)
Parce que la normalité est une puissance écrasante. Plus écrasante que la morale. On peut toujours convaincre une partie de la population d’être végétarienne. Mais la majorité des gens feront comme … la majorité des gens. La plupart des gens mangent de la viande parce qu’ils sont nés dans une société où c’est normal. Il ne faut pas chercher plus loin que ça.
Ce n’est donc pas anodin : faire bouger la fenêtre de normalité est un jackpot. Il suffit d’ouvrir n’importe quel manuel d’activisme politique de gauche pour s’en convaincre. (...)
Voilà pourquoi l’extrême-droite veut être de tous les débats, même quand il s’agit de parler de rap. Parce que ça lui permet de déplacer la fenêtre d’Overton. De banaliser ses idées (...)
L’extrême-droite a vu avec horreur la fenêtre s’éloigner de plus en plus d’elle. Elle est donc en train de réagir. Depuis une dizaine d’années on assiste à une contre-offensive pour réhabiliter certaines de ses positions. (...)
Quand on est vraiment en dehors de la fenêtre d’Overton, il n’y a pas de mauvaise publicité. En effet, si 2% des français pensent que l’islamogauchisme existe, le simple fait de présenter le concept aux 98% restant suffit à faire exploser l’adhésion. Même si seuls 30% y adhèrent, on se retrouve avec une idée 15 fois plus acceptée que précédemment.
Le débat a donc un effet d’aubaine incroyable similaire à ce qu’on décrivait sur les fusions de deux audiences de tailles différentes. (...)
Voilà pourquoi il est suicidaire de proposer une tribune à l’extrême-droite. Normalement, déplacer la fenêtre d’Overton demande des années de travail. Au début on est peu nombreux, dans l’espace privé à défendre une idée inacceptable. Puis petit à petit on rallie des personnes. Jusqu’à avoir une petite tribune, par exemple dans un club local. Puis, une petite chaîne YouTube. Jusqu’à un jour avoir l’idée exposée dans un média mainstream.
Mais si quelqu’un, pour une raison ou une autre, décide d’offrir une tribune mainstream à une idée marginale, il accélère drastiquement le processus.
Pourquoi il est efficace de refuser le débat public voire même de les bannir de certains médias (...)
L’extrême-droite se plaindra qu’on lui refuse le débat, jusqu’à ce qu’on accepte. Mais si on accepte jamais…elle est dans l’impasse.
On a parlé du débat, donc. Parlons désormais du bannissement pur et simple. Cette fois ci, il ne s’agit plus de refuser nos tribunes à l’extrême-droite, mais bien de détruire ses propres espaces de communication.
Bien entendu, ce mouvement est réservé à la frange la plus extrême de l’extrême-droite. (...)
des gens comme Dieudonné ou Alain Soral ont subi ces bannissements, avec succès. Car oui, le bannissement fonctionne.
Ça a été étudié par les sciences sociales avec notamment l’exemple du mouvement “Britain First”. (...)
Le bannissement fonctionne. Principalement car il freine énormément le recrutement de nouveaux membres.
Il a un inconvénient majeur cependant : il est plus difficile pour les autorités de surveiller les mouvements d’extrême-droite une fois qu’ils sont sur une plateforme plus petite.
Mais, tout le reste est un avantage. De sorte que sur la balance coût/bénéfice, on penche clairement du côté bénéfice.
Il faut le garder à l’esprit. D’autant plus que pour certaines populations, cette manie de tendre des tribunes à l’extrême-droite a des conséquences néfastes très concrètes. (...)