
L’historiographie dominante montre la tranchée comme le lieu par excellence de la synthèse patriotique et du creuset social. Parce qu’ils enduraient les mêmes souffrances et partageaient la même expérience, les soldats se seraient fondus, entre 1914 et 1918, en un corps unique soudé par un patriotisme ardent.
Le livre de Nicolas Mariot restitue au contraire la pluralité des manières de « faire, vivre et juger la guerre (1) ».
Sa matière ? Les courriers, carnets et témoignages de guerre rédigés au jour le jour (et non retravaillés en vue d’une publication) par quarante-deux intellectuels, dont Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Guillaume Apollinaire, Fernand Léger, Marc Bloch et Maurice Genevoix. Si leurs fonctions sous l’uniforme peuvent diverger, tous sont soldats ou, au mieux, sous-officiers à la mobilisation. Ce qui permet à l’auteur de retracer cette autre aventure des intellectuels en guerre : la découverte des classes populaires.
L’étude souligne d’abord que les conditions de vie des poilus différaient sensiblement selon leur milieu (confort, grades, occupations, colis, argent, et même « domesticité » militaire). Les privilèges des membres des classes supérieures se payent parfois d’une mise à l’écart durement ressentie, et l’entre-soi est d’autant plus difficile à reconstituer qu’ils appartiennent aux 2 % de bacheliers d’une génération. De plus, pelle en main, sac au dos, les intellectuels se retrouvent déclassés, inaptes, dominés. S’ils tentent de rationaliser cette infériorité, leur morgue s’exprime surtout lors des périodes de « repos ». Et de condamner pêle-mêle la promiscuité, l’exubérance, l’alcoolisme, les jeux de cartes.
L’auteur montre ensuite que le sentiment national ne s’exprime pas de la même manière selon que l’on est bourgeois ou prolétaire. (...)