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Libération

Tribunal citoyen sur les migrants : la France et l’UE condamnées pour « complicité de crimes contre l’humanité »

lundi 8 janvier 2018

Témoins médiatiques, rescapés, politiques et responsables associatifs se sont succédé jeudi et vendredi à la barre du Tribunal permanent des peuples, à Paris. Le verdict a été rendu dimanche au festival Moussem de Gennevilliers.

Moayed Assaf arrive à la barre avec élégance, chemise blanche et costume noir impeccables, regard sombre. « Je vais essayer de résumer vingt-cinq années de migration en dix minutes », commence l’homme, exilé kurde parti d’Irak à 17 ans. Autour de lui, les magistrats ne portent pas de robe, mais tous l’écoutent attentivement, suivant les règles rigoureuses d’un tribunal. Gustave Massiah, figure de l’altermondialisme, un des organisateurs de cet événement, avait prévenu l’audience : « Ici, on n’applaudit pas comme dans un meeting : c’est un tribunal ! »

Saisi par près de 40 associations françaises et européennes, d’Emmaüs International à Attac en passant par la Cimade ou encore Migreurop, le Tribunal permanent des peuples (TPP) consacré aux droits des exilés a organisé sa session à Paris jeudi et vendredi.

Elle fait suite à celles organisées sur le même thème à Barcelone, à l’été 2016, puis à Palerme en décembre 2017. Une dimension internationale revendiquée depuis la création du TPP en 1979, treize ans après le Tribunal Russell, mis en place pour juger les crimes des Etats-Unis au Vietnam. Basé sur le droit international, le TPP reste un tribunal d’opinion, dont l’objectif « n’est pas de rendre justice, mais de donner des outils à ceux qui n’en ont pas pour s’en saisir », rappelle Mireille Fanon-Mendès-France, présidente de la fondation Frantz-Fanon et membre du jury. (...)

lorsque Moayed Assaf lance : « On vit dans un monde dans lequel l’être humain interdit à un autre de circuler librement. De quel droit ? Qu’a-t-on fait pour en arriver là ? » Elle laisse planer le silence. (...)

« Complicité de crimes contre l’humanité », « violation du droit des enfants », « entraves au droit à l’éducation et à l’accès aux soins », « atteinte au droit à la vie ». L’acte d’accusation, épais de 25 pages rédigées par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) est étayé d’exemples précis. Le gouvernement français et l’Union européenne n’ont jamais répondu aux sollicitations du Tribunal permanent des peuples pour venir assurer leur défense. (...)

Le professeur de droit Jean Matringe, qui joue le rôle de l’avocat de la défense de l’UE affirme que « seuls les Etats ont le pouvoir de le changer le droit international. Et c’est bien le droit lui-même qui est en procès aujourd’hui ».(...)

un témoin « star » : Damien Carême, le maire de Grande-Synthe (Nord) : « J’ai dû faire face aux carences de l’Etat, et jusqu’au bout on m’en a empêché. Je ne supportais plus de voir des personnes vivre dans ces conditions dans ma commune. Or cette responsabilité n’est pas la mienne, c’est celle de l’Etat. Mais ni Médecins sans frontières ni moi n’avons été remboursés par le gouvernement pour les frais engagés dans la construction du camp de Grande-Synthe. » L’élu écologiste croit au bénéfice de ce tribunal : « On manque de pédagogie sur ces questions. Alors que dans l’acte d’accusation, on le voit bien : il y a des textes internationaux de référence, clairs, dont personne ne peut nier qu’ils sont violés. » (...)

noyade collective provoquée par les gardes-frontières de la Guardia Civil espagnole : « Sur les huit amis que nous étions, quatre sont morts, deux ont disparu. Je voulais aller chercher leurs corps jusqu’au fond de l’eau mais les gardes m’en ont empêché. » Les visages dans le public sont lourds, les sourires de la pause se sont effacés. « Au bout de quarante minutes, un grand silence, poursuit le jeune homme. Juste le bruit des vagues. On aurait dit qu’on avait déposé des dizaines de vieux vêtements à la surface de l’eau. » (...)

Loveth Aibangbee est venue pour témoigner de la traite sexuelle des femmes nigérianes. Elle accuse aussi la France : « La France a une part de responsabilité. Sans visas, les trafiquants restent la seule option pour le voyage. Et ici, les Nigérianes se retrouvent forcées à travailler dans la rue pour payer leurs dettes : des dizaines de milliers d’euros à des organisations criminelles, qui sévissent là, en France. » (...) « J’ai eu des clients qui ont voulu me tuer, j’ai failli mourir. J’ai appelé la police, on m’a répondu "pourquoi vous appelez ? Vous n’avez pas de papiers". » (...)

Françoise Carrasse, de la Coalition internationale des sans-papiers et des migrants, résumera de manière lapidaire : « Pour les migrants, la France est un Etat de non-droit. » (...)

Cédric Herrou est le dernier témoin, il parle de son expérience : « Peu à peu je me suis entouré d’associations, d’avocats, et j’ai appris le droit. Je me suis rendu compte que ce que je faisais n’était pas si illégal et qu’à l’inverse, l’Etat ne respectait pas toujours la loi. On a même fait des réunions pour expliquer cela à des gendarmes de la vallée de la Roya. » (...)

La sentence, lue ce dimanche au festival Moussem à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) par Philippe Texier, confirme la complicité de crime contre l’humanité : « Le TPP estime qu’il existe des motifs raisonnables de retenir cette qualification à l’encontre de l’UE et des Etats qui la composent, dont la France. » Le tribunal recommande la « révision immédiate de tous les accords passés entre UE et pays tiers » pour externaliser ses frontières. Ou encore, la ratification par les Etats membres de la convention de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants, dont aucun n’est signataire. « Ce qu’il manque, c’est une juridiction avec une force coercitive, explique le magistrat, une cour constitutionnelle internationale, par exemple, pourrait faire obstacle à certaines législations. Aujourd’hui, les instances existantes n’ont qu’un pouvoir de condamnation morale. » A l’image de cette session du TPP, désormais close. Cédric Herrou partage l’amertume : « On est là, à recréer une justice… C’est grave d’en arriver là, ça me fait mal au bide. »


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