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Basta !
Michelin mis en cause pour des atteintes aux droits humains en Inde
lundi 14 octobre 2013
Au moment où le groupe supprime des emplois en France, Michelin s’apprête à ouvrir une nouvelle usine en Inde, avec exonérations fiscales et dérogations du droit du travail à la clé. Ce qui provoque l’ire des communautés locales, qui se voient aussi privées d’une partie de leurs moyens de subsistance
La CGT et plusieurs ONG indiennes et françaises dénoncent une violation des « principes directeurs de l’OCDE », qu’une multinationale est censée respecter en matière de responsabilité sociale. Mais les milieux patronaux et le gouvernement français semblent enfermés dans une vision rétrograde de la responsabilité des entreprises. (...)
Les autorités indiennes ont donc préparé le terrain. Selon les associations locales, environ 6 000 villageois se sont vus brutalement priver de leurs moyens de subsistance : 456 hectares de forêts abattus (l’équivalent de la moitié du Bois de Vincennes à Paris), assèchement des sources en eau et dégradation des zones de pâturages pour le bétail. Bien que la loi indienne reconnaisse théoriquement les droits coutumiers de ces communautés, dans la pratique cette reconnaissance ne pèse pas lourd face aux appétits des élites économiques et politiques. Les protestations des villageois ont été réprimées dans la violence. Plusieurs manifestants ont été emprisonnés ou font l’objet de poursuites judiciaires.
« Manquements en matière de respect des droits humains »
Pour la CGT, le CCFD et l’association Sherpa qui ont relayé en France les mobilisations indiennes, Michelin est responsable de « manquements (…) en matière de respect des droits humains ». La multinationale basée à Clermont-Ferrand « n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les atteintes aux droits des populations et à leur environnement » et « ne s’est pas souciée des nombreuses manifestations et procédures légales intentées contre les autorités locales. » (...)
Avec deux associations indiennes [1], elles ont porté l’affaire, en juillet 2012, devant une instance de l’OCDE chargée de promouvoir les principes directeurs de l’organisation de coopération « à l’intention des entreprises multinationales » (...)
Un an plus tard, en septembre, le PCN remet ses conclusions, qui exonèrent Michelin sur la forme mais demeurent ambiguës sur le fond, quant à la responsabilité de l’entreprise. D’un côté, « le PCN estime que l’implantation de l’usine Michelin ne semble pas être à la source d’atteintes directes au droit à la vie et aux moyens de subsistance établi par la Déclaration universelle des droits de l’homme » et « considère que le Groupe Michelin ne peut pas être tenu responsable des méthodes d’intervention de la police du Tamil Nadu ». De l’autre, l’instance relève cependant plusieurs « insuffisances », comme le manque de prise en compte de l’ « expression des points de vue des populations locales », des lacunes dans plusieurs études d’impacts sur le respect des droits humains ou l’environnement, voire l’absence d’études approfondies [4]. Si « le groupe n’a pas entraîné d’atteintes aux droits de l’homme », il devra cependant mener « une politique de prévention et de réparation adéquate ». S’il n’y a pas eu d’atteintes et de violations, que faut-il réparer ? Allez comprendre.
Pour les organisations plaignantes, le document du PCN est « caricatural ». (...)
Michelin n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pour sa défense, l’entreprise fait notamment valoir ses investissements philanthropiques dans la région (...)
Une philanthropie qui n’excuse en rien, ni ne compense, d’éventuelles violations des droits des communautés locales, des dégradations de l’environnement, des exonérations fiscales et des dérogations au droit du travail… Mais qui est louée par le PCN.« Le PCN confond RSE [responsabilité sociale des entreprises] et philanthropie », rétorquent les plaignants. (...)
Alors que les grands groupes hexagonaux s’internationalisent toujours davantage (Michelin n’a plus que 21% de ses effectifs en France), l’affaire PCN/Michelin laisse planer de nombreux doutes sur la volonté du gouvernement d’obliger ces « champions » à mettre en œuvre de réelles mesures en matière de responsabilité sociale. La toute nouvelle « Plateforme française pour la RSE » ne semble pas de nature à apporter des changements radicaux, du fait des blocages des représentants patronaux et de l’inertie gouvernementale. Quant à la proposition de loi préparée par un petit groupe de députés en lien avec le Forum citoyen pour la RSE, qui regroupe ONG et syndicats, elle risque de ne pas aboutir dans le contexte actuel. (...)
Coïncidence ? Alors que sa nouvelle usine s’implante en Inde, Michelin a confirmé en juin dernier la suppression de 700 emplois dans son usine de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). Un lien démenti par l’entreprise qui assure que sa production indienne sera exclusivement destinée au marché local. Au-delà du cas Michelin, le lien entre délocalisation ici, et responsabilité sociale et environnementale plus que douteuse ailleurs, se pose crûment.« Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud », explique la CGT. Que le cas Michelin ait réussi à fédérer syndicats de pays inductrialisés, ONG et communautés locales au sud était peut-être une raison de plus, en haut lieu, de ne pas trop s’y attarder.
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