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Mediapart
« Les chiffres d’emplois non pourvus sont une invention totale »
jeudi 15 septembre 2022
« Le drame, c’est que nous ayons des emplois qui ne soient pas pourvus […] ça bride le développement des entreprises, ça ralentit la croissance et c’est donc mauvais pour le pays. » Sur France Info le 7 septembre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, a justifié, en ces termes, la future réforme de l’assurance-chômage visant à moduler les allocations, en fonction de la conjoncture économique.
Une assurance-chômage qu’Emmanuel Macron souhaite « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé ».
Pour l’exécutif, l’heure est grave et il y a urgence. Les difficultés de recrutement, déplorées par les patrons, sont présentées comme le principal frein au plein emploi. Déjà, en septembre 2021, l’ex-premier ministre Jean Castex érigeait les tensions de recrutement en « préoccupation majeure », et avançait le chiffre de « 300 000 emplois à pourvoir ». (...)
« Un discours éminemment idéologique pour justifier un programme politique libéral », répond Hadrien Clouet, sociologue du travail et nouvellement député La France insoumise-Nupes de Haute-Garonne. Dans son livre Emplois non pourvus : une offensive contre le salariat, à paraître le 15 septembre aux Éditions du Croquant, il entend proposer une réponse « point par point » à des thèses décrites comme « farfelues ». Entretien. (...)
"depuis longtemps, il y a une coexistence d’estimations vaseuses. Ça démarre vraiment au début des années 2000 avec François Fillon qui est l’un des premiers à parler de 300 000 emplois non satisfaits en France. Ensuite, on a Dominique de Villepin qui monte à 500 000.
Depuis, chaque année, on a des chiffres, allant parfois du simple au double, lancés par des ministres d’un même gouvernement qui ne citent jamais aucune source. Ou citent la Banque de France, qui se défend de publier de telles données ! C’est une invention totale, des estimations au doigt mouillé qui circulent dans le grand patronat et qui sont reprises telles quelles par des dirigeants publics. C’est extrêmement inquiétant sur le niveau et le type d’information sur lesquels s’appuient les décideurs publics." (...)
Par définition, tout emploi ne trouve pas preneur pendant un certain temps. Dans cette logique on pourrait dire que 100 % des emplois ne sont pas pourvus, le jour où on les imagine !
C’est surtout un mot fourre-tout qui permet de ne pas s’intéresser à l’essentiel, à savoir la qualité de l’emploi. (...)
Par définition, tout emploi ne trouve pas preneur pendant un certain temps. Dans cette logique on pourrait dire que 100 % des emplois ne sont pas pourvus, le jour où on les imagine !
C’est surtout un mot fourre-tout qui permet de ne pas s’intéresser à l’essentiel, à savoir la qualité de l’emploi. Est-ce la même chose de ne pas réussir à embaucher quelqu’un pour un boulot de nuit de deux heures payé au Smic ou pour un CDI à 2 000 euros ? Évidemment, ce n’est pas pareil ! Mais tout est englobé dans le terme « emplois non pourvus », et au nom de la difficulté à embaucher sur certains types d’emploi vraiment pourris, on met la pression sur l’ensemble des salariés déjà en poste et sur les chômeurs.
Vous citez en revanche un chiffre que vous jugez fiable : celui du nombre de recrutements annuels.
Oui, et la source c’est l’Urssaf. À chaque fois qu’un employeur veut embaucher, il doit signer une déclaration unique d’embauche. On est au-dessus de 25 millions par an, soit 25 millions de tentatives de recrutement. Donc, même si on était à 500 000 emplois non pourvus, ça ne ferait même pas 2 %. Rien n’indique d’ailleurs que les chômeurs bouderaient les offres. Les enquêtes employeurs réalisées par Pôle emploi le démontrent : on arrive très bien, en France, à pourvoir les emplois. L’immense majorité des offres trouvent preneurs, y compris les boulots de mauvaise qualité.
Pourtant, on entend beaucoup le contraire, depuis un an. Les patrons ne cessent de répéter qu’ils ne trouvent pas de main-d’oeuvre.
C’est un discours saisonnier, et qui est tributaire de la dérégulation du marché du travail. La grande majorité des offres dont ils parlent sont des emplois dans l’intérim ou en CDD. Les recrutements sont donc plus pressants (...)
Dans votre livre, vous soulignez la différence entre « emplois non pourvus » et « emplois vacants », deux notions souvent confondues, selon vous. Pouvez-vous développer ?
Effectivement, une partie des dirigeants politiques, y compris des ministres, confondent les deux notions. Un emploi vacant est un emploi disponible et il ne faut pas faire passer les emplois disponibles pour des emplois non pourvus ! C’est au contraire très positif d’avoir des emplois vacants, cela signifie qu’il y a des créations d’emploi. Et pour le coup, ces données font l’objet d’un suivi par l’Insee en France et Eurostat dans l’Union européenne. (...)
Avez-vous le sentiment que les discours du gouvernement et des patrons ne stigmatisent que les chômeurs ?
Oui, tout le discours sur les emplois non pourvus vise à accréditer l’idée que le problème, ce n’est pas le marché du travail, mais les chômeurs. Or, s’il y a un marché, c’est qu’il existe deux acteurs : des preneurs et des donneurs. Et il me semble qu’on devrait se pencher sur ceux qui offrent des emplois. Mais la stigmatisation des chômeurs, accusés de ne pas vouloir travailler, a un objectif politique clair : mettre la pression sur eux, les conduire à renoncer à leurs attentes dans le monde du travail et accepter n’importe quel emploi. (...)
Chaque tentative de créer une panique morale autour de l’emploi non pourvu s’accompagne donc de propositions politiques de baisser les salaires ou de tentatives du patronat de pousser les limites du déraisonnable. L’objectif du gouvernement n’est pas le retour du plein emploi, mais la baisse des salaires.
C’est aussi une façon de « pousser » une nouvelle réforme de l’assurance-chômage ?
Oui, et c’est absurde de vouloir réduire la durée d’indemnisation. L’allocation-chômage est le moteur de la recherche d’emploi. On le voit bien en Allemagne, certains chômeurs ne peuvent même pas aller à des entretiens car ils n’ont pas les moyens de payer les transports. Et que dire de cette volonté de lancer une deuxième réforme… sans même avoir de bilan chiffré sur la première !
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