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ENQUÊTE. Pizzas Buitoni contaminées à l’E.coli : des salariés révèlent les dysfonctionnements dans leur usine

samedi 10 septembre 2022

Six mois après le lancement de l’enquête, des salariés dénoncent une réduction du temps du nettoyage et le recours à une farine plus sensible aux contaminations.

Il y d’abord un sentiment de culpabilité. "On cogite, on ne dort plus. On se demande comment on en est arrivé là. Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?" Les traits tirés, Pierre*, un salarié de l’usine de Caudry (Nord) où étaient fabriquées les pizzas Fraîch’Up de la marque Buitoni contaminées à l’Escherichia coli, ressent aujourd’hui le besoin de se livrer. Depuis que le scandale a éclaté, il se sent "responsable quelque part" de ce qui est arrivé. Un sentiment partagé par plusieurs de ses collègues, dont Patrick* : "Ces pizzas, c’était notre vie, notre fierté, explique-t-il la voix étranglée. Notre fierté s’est transformée en honte." (...)

Il y a ensuite le choc de la fermeture de l’usine dans laquelle eux et d’autres salariés travaillent parfois depuis plusieurs décennies. Le 1er avril dernier, un arrêté de la préfecture du Nord ordonne l’arrêt de la production "jusqu’à la remise en conformité avec la réglementation en matière d’hygiène". Patrick, Pierre et leurs collègues tournent alors en rond. Ils continuent à percevoir leur rémunération mais s’inquiètent pour leur avenir.

Il y a enfin le besoin de donner leur version des faits sur les "manquements graves" pointés dans l’arrêté de la préfecture du Nord pour justifier la fermeture de l’usine. Ces manquements, les salariés ne les contestent pas. Mais ils veulent s’expliquer. C’est pour toutes ces raisons qu’avec d’autres collègues, ils ont accepté de parler à la Cellule investigation de Radio France. (...)

Réduire au minimum les temps non consacrés à la production

Ils précisent d’emblée qu’ils n’ont aucune information sur l’origine de la contamination. Une enquête judiciaire est en cours pour permettre de comprendre les causes de l’intoxication qui a fait 56 victimes dont 55 enfants de 1 à 15 ans, et qui a provoqué la mort de deux d’entre eux.

L’enquête a néanmoins permis de révéler des défaillances dans la gestion de l’usine. Celles-ci avaient déjà été pointées par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) dans trois rapports datant de 2012, 2014 et 2020 (comme l’a révélé le média d’investigation en ligne Disclose). On avait alors découvert la présence de moisissures, de rouille et de peintures écaillées dans l’usine, ainsi que des mites alimentaires sur la ligne de production des pizzas Fraîch’Up.

>> Buitoni : des manquements à l’hygiène signalés depuis dix ans

Le récit des salariés permet d’éclairer ces dérives. "En 2012, Nestlé a mis en place une nouvelle manière de gérer le site. On appelle ça la méthode Lean, explique Maryse Tréton, de de la fédération CGT de l’agroalimentaire. L’objectif est de réduire au maximum tous les temps qui ne sont pas dédiés à la production. On réduit les temps de nettoyage et les temps de maintenance préventive pour faire de la production au maximum."

Trois ans plus tard, en 2015, cette réduction du temps de nettoyage sera inscrite dans un plan dit de "compétitivité". (...)

Après 2015, on double quasiment le temps de production pour arriver à 27 heures par jour (en trois équipes de 9 heures) et on divise presque par deux le temps de nettoyage qui passe de 8 heures à 4 heures 45."
"L’état général s’est dégradé"

Selon eux, les conséquences de cette réorganisation ne se font pas attendre : "Pour nous, ça voulait dire aller plus vite sur le nettoyage. Du coup, la priorité, c’était de nettoyer la ligne de production et les machines. Mais pas ce qu’il y avait autour, comme par exemple les murs et les plafonds. Ce n’était plus possible de tout faire." Interrogée sur ce point, la direction de Nestlé France confirme que le temps de nettoyage est aujourd’hui de moins de 5 heures. Mais elle précise qu’elle fait effectuer "des prélèvements microbiologiques systématiques dans différentes zones stratégiques du site."

Cette réduction du temps de nettoyage aurait eu d’autres conséquences. Selon les salariés que la Cellule investigation de Radio France a rencontrés, certaines zones de l’usine qui étaient nettoyées au moins une fois par an avant 2015, ne le seraient plus. (...)

27 degrés à cause de la climatisation bouchée

Dans l’atelier de boulangerie où est fabriquée la pâte des pizzas Fraîch’Up, "avant 2015, les gaines de la climatisation étaient nettoyées tous les six mois-un an, explique Pierre. Maintenant, ce n’est plus fait et ça se bouche. Quand il fait 40 degrés dehors, comme il y a de la tôle sur les toits, la température monte très haut dans l’atelier, il fait très chaud, ça peut monter jusqu’à 27 degrés." Gilles Salvat, le directeur général délégué du pôle recherche et référence de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire, précise : "Les produits comme la farine, qui se présentent sous la forme de poudre, créent des poussières dans l’environnement de l’usine qui vont ensuite encrasser ces gaines de filtration. Il faut les démonter et les nettoyer beaucoup plus régulièrement. Sinon, on altère le fonctionnement des systèmes de climatisation et de ventilation. La conséquence de cette altération peut être, selon le scientifique, une élévation de la température qui entraîne un risque de développement rapide des bactéries Escherichia coli, même si rien ne permet d’affirmer que c’est ce qui s’est passé dans l’usine de Buitoni." Interrogée précisément sur ce point, la direction de Nestlé France n’a pas répondu.
Des silos à farine non nettoyés depuis sept ans (...)

Autre manquement relevé dans l’arrêté de fermeture pris par la préfecture : la présence de rongeurs dans l’atelier de boulangerie. (...)

Un changement de farine qui pose question (...)

il existe un type de farine traitée thermiquement, c’est-à-dire chauffée pour tuer les bactéries. Elle est régulièrement employée pour la fabrication de pâtes crues, plus propice à la présence de bactéries. Et Buitoni, selon des salariés, utilisait ce type de farine jusqu’en 2021 pour fabriquer la pâte de sa gamme Fraîch’Up. Mais ils affirment qu’après cette date, c’est une autre farine non traitée thermiquement qui aurait été utilisée. (...)

Une alerte, déjà chez Nestlé, aux Etats-Unis en 2009

Et pourtant... En 2009 aux États-Unis, une contamination avec de la farine non chauffée avait intoxiqué près de 80 personnes. (...)

À la suite de cette contamination, en 2010 les autorités américaines ont classé la farine dans la catégorie des produits "présentant un danger" et pouvant causer des épidémies d’Escherichia coli. Depuis, aux États-Unis, les produits à consommer crus sont fabriqués avec de la farine traitée thermiquement. Et la mention "Safe" ("sans danger") est clairement indiquée sur les emballages.


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