
L’Andra, l’agence publique qui pilote le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, mise sur des influenceurs, notamment sur YouTube, pour faire sa promotion auprès des jeunes.
En 2017, l’agence se targue par exemple d’« alimenter régulièrement ses sites Internet, et renforcer ses canaux de dialogue sur les réseaux sociaux (comptes Twitter, Facebook, Dailymotion, YouTube, Flickr...) » [1]. Puis de se féliciter qu’« entre 2014 et 2016, une quarantaine de blogueurs (…) ont été accueillis pour une découverte du laboratoire souterrain, de l’Écothèque et des démonstrateurs technologiques », avant d’ajouter — sans préciser s’il s’agit de publicité déguisée — que « ces visites peuvent donner lieu à la rédaction d’articles de blogs, des vidéos, des interactions en ligne, des reportages BD ».
Sur YouTube, l’agence poste très régulièrement sur sa chaîne. Pourtant, celle-ci ne comptabilise que 390 abonnés, tandis que les vidéos suscitent rarement plus de 1.000 vues et engrangent peu de like et de commentaires. Alors, l’Andra externalise sa communication en collaborant avec des youtubeurs science largement plus visibles. (...)
En janvier 2019, le site de Reporterre montrait déjà comment l’Andra avait démarché trois youtubeurs spécialisés dans la vulgarisation scientifique pour visiter ses installations et véhiculer une image positive de la gestion des déchets radioactifs. Depuis, deux d’entre eux ont donné des interviews à l’Andra [2].
Sur la chaîne YouTube de l’Andra, dans la rubrique dédiée aux chaînes amies auxquelles l’agence est abonnée, on trouve — au milieu des chaînes des industriels de l’atome et des lobbies — la chaîne Le Réveilleur. Et pour cause : reconnu pour sa clarté et accessoirement pour ses positions pronucléaires, le youtubeur s’est emparé du sujet de la gestion des déchets radioactifs, sans que l’on sache s’il est contractuellement lié à l’Andra ou pas. Une chose est sûre : en 2018, il faisait partie des youtubeurs invités à visiter le laboratoire, comme le confirme une récente interview accordée… à l’Andra ! (...)
En octobre 2019, c’est au tour d’AstronoGeek de mettre en ligne un vlog particulièrement favorable à l’Andra et au projet Cigéo. (...)
Tandis que les images d’une maquette en Lego défilent à l’écran, la voix off d’AstronoGeek répète qu’il est simplement « factuel ». Pourtant, tout au long de sa vidéo, il reprend tel quel les lieux communs habituellement débités par la filière nucléaire (...)
Malgré les promesses de neutralité martelées par les youtubeurs qui se laissent guider dans les galeries creusées à 500 mètres sous terre par l’Andra, les vidéos réalisées après leur expérience reproduisent les codes de la communication habituellement déployée par l’agence. Sous couvert de pédagogie, les youtubeurs digèrent et recrachent les arguments et les éléments de langage préfabriqués par l’Andra. Et pour cause, lorsqu’on leur demande ce qu’ils connaissent de la gestion des déchets radioactifs, plusieurs répondent « en réalité pas grand-chose » ou « absolument rien ».
Difficile donc, de remettre en question le discours affûté de l’institution ou de faire preuve d’esprit critique. (...)
« On descend à 500m sous terre ! (Hors-Série) », vidéo de AstronoGeek du 23 octobre 2019.
À la fin de la vidéo, le spectateur ne saura rien des critiques du projet qui émanent d’une partie de la communauté scientifique et de la société civile, rien non plus sur les agissements parfois illégaux de l’Andra ou la répression inédite qui s’abat sur les opposants.
Les vidéos de ces cinq youtubeurs pourraient réellement contribuer à l’information et au débat sur Cigéo, si l’internaute était en mesure de les prendre pour ce qu’elles sont : des publireportages, qui mélangent information et promotion et s’inscrivent dans la stratégie de communication numérique de l’Andra. Toujours est-il que la formule fait recette puisqu’en octobre, c’est au tour d’EDF de solliciter deux youtubeurs et cinq instagrameuses pour visiter sa centrale nucléaire de Gravelines (Nord),