En dénonçant le « programme immigrationniste » du Nouveau Front Populaire, Emmanuel Macron a recouru explicitement au langage de l’extrême droite. Cet emprunt m’a rappelé un document interne au Front national, devenu aujourd’hui le RN, que j’avais révélé il y a trente-quatre ans.
Paru dans Le Monde daté du 10 mai 1990 – où il m’arrivait régulièrement d’écrire sur l’extrême droite –, cet article, que je republie dans ce billet, s’intitulait « Les mots sont des armes » avec en surtitre : « Le Front national veut créer son propre vocabulaire ».
Révélant un document interne de l’Institut de formation nationale (IFN) créé par le mouvement alors dirigé par Jean-Marie Le Pen et aujourd’hui par sa fille, il illustrait déjà une vérité devenue depuis encore plus flagrante : la catastrophe commence par des mots. Des mots qui l’installent, l’accoutument, la banalisent. Les milieux « immigrationnistes », qu’à son tour, l’actuel président de la République a vilipendé, y sont par exemple qualifiés de « parti de l’étranger », ce qui éclaire d’une lumière blafarde l’imaginaire politique convoqué par Emmanuel Macron.
Trois décennies plus tard, je suis revenu sur cette question des mots et de leur usage politique, qui concerne, au premier chef, notre profession, le journalisme, et les médias où nous l’exerçons. Dans L’Appel à la vigilance, hommage à un appel prophétique lancé par Maurice Olender en 1993, je rappelle cette sentence de Gustave Le Bon, l’auteur de la Psychologie des foules (1895), essai précurseur dont les intellectuels fascistes puis nazis sauront tirer d’utiles enseignement pratiques : « La puissance des mots est si grande qu’il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses ». Sur ce terrain, la stratégie langagière de l’extrême droite n’a cessé de marquer des points depuis 1990.
Ainsi, dans le livre que j’ai publié en 2023, le point de départ tient en deux mots simples – « grand remplacement » – qui, à l’abri de leur apparente banalité, installent une idéologie meurtrière : le désir d’effacer une partie de notre peuple, de l’invisibiliser ou de le chasser. Leur fait écho ce témoignage douloureux de Victor Klemperer, linguiste et philologue témoin et survivant du nazisme : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir ».
Bref, dire, c’est faire (...)