
Lundi 7 octobre, le vainqueur de la dernière Transat Jacques-Vabre et son équipage ont porté assistance à un bateau qui dérivait depuis 5 jours dans le détroit de Gibraltar, sauvant seize hommes partis d’Algérie. Il raconte à « Libération » cette opération de secours, due à un hasard, et sa colère contre les autres navires qui ne se sont pas arrêtés.
(...) Le vainqueur de la Transat Jacques-Vabre, en 2023, a la rage contre la situation – des personnes qui mettent en péril leur vie pour en avoir une meilleure – et contre les bateaux en mer qui ne viennent pas en aide à des humains en danger de mort. « Ça me rend fou. »
Lui et son équipage ont eu le temps de discuter avec les seize hommes algériens en attendant les secours. Un dix-septième était dans l’embarcation mais il n’a pas survécu. Thibaut Vauchel-Camus revient avec Libération sur cette matinée. (...)
Je parle parce que le sujet me tient à cœur. Je suis skipper professionnel. En mer, les gens comme moi prennent des risques inconsidérés pour vivre des aventures sportives et humaines. En face, il y a des gens qui risquent leur vie en mer pour en avoir une meilleure. Je ne voulais pas que ça passe une nouvelle fois sous les radars. (...)
« Paul aperçoit quelque chose au loin. Il prend les jumelles : une embarcation à la dérive. De nombreuses personnes en train de s’agiter au milieu des cargos en faisant des grands gestes de la main. J’avais déjà vu des bateaux à la dérive près des côtes mais ils étaient toujours vides. On déroute sans hésiter. Les passagers de l’embarcation s’agitent. Ils crient. Ils ont peur que l’on ne s’arrête pas. L’ambiance s’apaise lorsqu’on arrive à portée de voix. On les rassure. On leur fournit de l’eau et un peu de nourriture. Ils sont seize à bord, seize Algériens assez jeunes qui espéraient se rendre en Espagne. Ils étaient à la dérive depuis cinq jours.
« [Petit silence]. On ressent de la joie. Ils se sentent sauvés mais il y a un corps qui flotte dans l’eau. Ils étaient dix-sept au départ. C’est le petit frère d’un rescapé. Il avait 22 ans. Il était diabétique. Il n’avait plus de traitement ni de nourriture. J’ai cru comprendre qu’il était mort depuis quelques jours. Ils ont dû le mettre à l’eau juste avant notre arrivée parce que le corps était dans un mauvais état. Le sentiment est mitigé. Le nôtre et le leur. La joie et la peine.
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« Un bateau concurrent, le Primonial Sailing Team, nous rejoint sur les lieux. On appelle les secours en mer pour transmettre notre position. Nous avons attendu deux heures avant leur arrivée. La rage devient encore plus grande dans l’attente en voyant tous les cargos qui passent près de l’embarcation. Ils ont croisé combien de cargos depuis qu’ils sont à la dérive ? [Il souffle.] Comment fais-tu pour ne rien faire quand tu vois une embarcation à la dérive ? C’est fou. Il y a une obligation de porter secours aux personnes en danger. (...)
Ils nous proposent de l’argent pour nous remercier. Tu imagines le truc ? Un gars a voulu m’offrir sa boussole en souvenir, mais j’ai refusé. Je regrette un peu. J’aurais peut-être dû accepter cet objet symbolique. Ils ont noté les sponsors et le nom du bateau pour nous retrouver sur Facebook. Je n’ai qu’une hâte, c’est d’avoir de leurs nouvelles. (...)
Je reçois pas mal de messages pour me féliciter. Laurent et Paul aussi. En vrai, c’est dérangeant. On devrait être fiers de faire un truc normal ? Les mots sont importants. J’insiste : ce ne sont pas des migrants. Nous sommes venus en aide à des humains, des rescapés, des naufragés. (...)
Mercredi matin, le jour de mon arrivée à Sainte-Maxime, ils ont parlé de cette histoire à la radio [Radio France, ndlr]. Je suis allé voir les commentaires sur les réseaux sociaux. Franchement, je ne pensais pas que ça pouvait exister. C’est immonde (...)