Si chez nous c’est Pétain qu’on regrette, au Chili c’est Pinochet. José Antonio Kast, candidat d’extrême droite bien placé pour l’élection présidentielle du Chili, ce dimanche 19 décembre, est un fervent défenseur de la dictature militaire de Pinochet. Rien d’étonnant à ce qu’il soit soutenu par l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, connu depuis longtemps pour son militantisme ultra-réactionnaire et ultra-libéral très influent dans toute l’Amérique latine, et jusqu’en Espagne où il défend la mémoire de Franco.
Un ultra-libéralisme qui l’a conduit à se livrer à l’évasion fiscale, comme l’ont révélé les « Panama Papers » en 2015, et les « Pandora Papers » en 2021. Malgré tout ça – ou bien à cause de tout ça – il vient d’être élu à l’Académie française. Aucun académicien (même pas Alain Finkielkraut) ne peut ignorer que le grand écrivain est un militant de l’extrême droite la plus obscurantiste et la plus radicale.
Le peu d’étonnement qui s’ensuit montre l’état de la confusion et de la banalisation des idées les plus réacs dans l’opinion et dans le monde intellectuel. Seuls quelques chercheurs ont publié une tribune. (...)
En 2019, dans les colonnes du Figaro, le romancier s’alarmait de « la montée en puissance un peu partout dans le monde non seulement des populismes et des nationalismes locaux, ces nouvelles formes d’égoïsme, mais des extrémismes de toutes sortes, qui parfois avancent masqués ». Au même moment, il affichait en Amérique du sud son soutien aux candidats d’une ultra-droite ne s’embarrassant guère des libertés ni des droits humains : Iván Duque, démolisseur des accords de paix en Colombie, où des leaders sociaux, paysans et indigènes, des syndicalistes, d’ex-guérilleros ayant déposé les armes sont chaque jour assassinés ; dans sa patrie de naissance, Keiko Fujimori, fille du satrape Alberto Fujimori qu’il affronta sans succès lors de l’élection présidentielle de 1990 ; Mauricio Macri, l’intégriste néolibéral qui a laissé en un mandat l’économie argentine exsangue ; Carlos Mesa, porté en Bolivie par les putschistes à l’origine du coup d’État contre Evo Morales.
Du guévarisme de ses débuts à sa conversion au reaganisme et au thatchérisme, de l’élan tiers-mondiste à ses ennuyeux prêches pour la « liberté » (celle des capitaux et des marchandises), Vargas Llosa s’est depuis longtemps laissé engloutir par les marécages du néoconservatisme, de la régression sociale, du libre-échange fanatique, de l’exportation des idéaux « démocratiques » par les invasions militaires. Il sombre encore, mais peut-on parler de rupture ? Lui-même assure avoir été foudroyé, au début des années 1970, par la lecture de Karl Popper et celle de Friedrich Hayek, l’apôtre du marché libéralisé comme « ordre spontané », partisan d’un système anti-démocratique confiant la décision politique aux « experts ». Comme Milton Friedman qui forma les Chicago boys, inspirateurs de la brutale conversion économique conduite par Augusto Pinochet, Hayek offrit à la junte militaire une indéfectible caution intellectuelle : il y avait, selon lui, dans le Chili de Pinochet, théâtre d’une répression anti-populaire d’une horreur sans nom, « plus de liberté que sous le gouvernement d’Allende ».
En bon disciple de Hayek, Vargas Llosa déteste les impôts : son nom apparaît dans le scandale des « Pandora Papers », comme propriétaire d’une société offshore domiciliée dans les îles Vierges britanniques, un paradis fiscal vers lequel affluaient ses droits d’auteurs et le fruit de la vente de plusieurs propriétés. Il partage aussi l’aversion de l’économiste et philosophe austro-britannique pour la démocratie et le suffrage populaire, quand leurs verdicts lui déplaisent. (...)