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club de Médiapart/ CVUH Association d’historien.n.e.s et d’enseignant.e.s créée en 2005 contre la loi du 23 février 2005 sur l’enseignement du "rôle positif" de la colonisation
Un « historien » au service de l’Intelligence Artificielle
#IA #historiens
Article mis en ligne le 19 juin 2023

Réflexions sur l’interview de Raphaël Doan par Alexandre Devecchio, « Je ne crois pas que l’IA doive être regardée comme une concurrente aux êtres humains » (Le Soir, 20 mai 2023) et sur l’usage de l’IA en histoire, dans un contexte de lutte contre les fausses informations et de mobilisation pour une éducation aux médias. Par François Saint Lager

Dans le quotidien belge Le Soir du samedi 20 mai est reproduit sous le titre « Je ne crois pas que l’IA doive être regardée comme une concurrente aux êtres humains » un article paru initialement en France dans Le Figaro. Il s’agit d’une interview par Alexandre Devecchio de Raphaël Doan qui publie aux éditions Passés/Composés une uchronie intitulée Si Rome n’avait pas chuté. Il est d’emblée précisé qu’elle a été en partie rédigée avec l’aide de logiciels d’intelligence artificielle (IA). L’article est accompagné du portrait photographique de l’interviewé.

Vous trouverez ci-après quelques réflexions tirées de la lecture de l’article (et non pas de l’ouvrage), autour des thématiques suivantes :

• L’utilisation du statut d’historien pour mettre en avant un auteur qui n’est pas historien

(...) pourquoi le journal Le Figaro estime-t-il opportun de présenter R. Doan comme historien, ce qu’à l’évidence il n’est pas, non seulement selon sa propre autobiographie, mais également selon celle de son éditeur ? (...)

Si on sort des sites autobiographiques de l’auteur et de sa maison d’édition, les médias d’information qui font appel ou mettent en avant R. Doan reflètent généralement des opinions de droite, voire d’extrême-droite (...)

La question de l’usage de l’IA en histoire, dans un contexte de lutte contre les fausses informations et de mobilisation pour une éducation aux médias, enjeux fondamentaux dans un proche avenir (adaptations par exemple en classe d’histoire avec l’utilisation de l’IA par les élèves pour réaliser les devoirs et par le professeur pour préparer ses leçons ; potentiel de l’IA pour développer ou affiner notre connaissance du passé ; risques de remise en cause générale et/ou systématique de savoirs historiques pourtant solidement établis ?) (...)

R. Doan établit implicitement une relation d’opposition entre « être inutile » et « être productif et créatif ». Cette allusion, à mon sens, caractérise bien l’homme politique (même si, à ce stade, il ne l’est qu’à un échelon local), mais ne peut pas constituer une contribution utile à la connaissance historique. Plus choquante est sa façon décomplexée d’affirmer l’inégalité entre les Français, dans sa vision d’avenir connectée à l’IA : « cela ne veut pas dire que nous serons tous inutiles », certes, mais hormis, sans doute, les « premiers de cordée », certains le seront !

« L’IA m’a donné des idées et des points de vue que je n’aurais pas eus autrement. C’est le contraire du remplacement. »

L’usage du terme « remplacement » ici pose question, notamment dans le contexte de l’interview, conduite dans le quotidien de droite Le Figaro par un polémiste médiatique, chantre de la peur du grand remplacement. (...)

La quasi-totalité des employeurs de « journalistes », comme Le Soir en Belgique ou Le Figaro en France, appartient à un pan de la finance, celui du traitement de l’information. Ces entreprises continuent à se référer au « noble » terme de « journalisme » pour désigner leur activité, laquelle consiste pourtant désormais massivement à répercuter auprès du plus grand nombre les éléments de langage ou la propagande fournis par les acteurs sujets de l’information.

À la réflexion, sans procès d’intention, il me semble que R. Doan, en mettant en valeur les atouts pour les médias de l’IA, témoigne ouvertement, avec cynisme et férocité, d’une certaine réalité du « journalisme de référence » moderne, celle d’un « journalisme de révérence », au service des intérêts politiques et économiques des ordres en place. (...)

« L’IA détruira ou bouleversera certains emplois, mais en créera d’autres, très probablement plus intéressants. »

Outre que R. Doan se situe dans une prévision qui, d’une part, n’est pas argumentée, et d’autre part, s’affranchit de toute démarche historique (...)

les défis que va proposer l’IA, à l’évidence pour l’auteur, nécessitent un nouveau paradigme. Tous les bienfaits qu’elle peut apporter ne seront possibles que si notre société se met au diapason de l’ère numérique, celle qui sélectionne l’information et dirige sa diffusion. Le modèle actuel qui repose sur un service public de l’enseignement doit être adapté (et non pas « s’adapter », ce qui est tout à fait autre chose). Dit autrement : « l’IA va enfin permettre de privatiser l’éducation ! » (...)

• La relation entre médias d’actualité et historiens[i].

(...) Vous constaterez que dans de nombreux organes de presse, R. Doan est présenté comme historien et que l’angle de présentation quasi-exclusif est l’utilisation de l’IA dans la rédaction et l’illustration de l’uchronie. (...)