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Un code du travail alternatif pour répondre aux défis de l’ubérisation, de la précarité et des licenciements injustifiés
Proposition de code du travail Collectif Dalloz Droit Du Travail Et Social
Article mis en ligne le 22 mars 2017

Un code du travail alternatif ? C’est ce que propose un collectif de chercheurs spécialisés en droit du travail. Ils y ont consacré un an et demi. Loin des dérégulations successives, dont le point d’orgue a été la loi Travail, leur projet vise à réinsérer les travailleurs exclus du salariat : auto-entrepreneurs, travailleurs ubérisés, contrats précaires… Ce code du travail alternatif reconnaît également le droit fondamental au temps libre et propose de véritables outils pour lutter contre les inégalités entre hommes et femmes. Un document utile pour alimenter le débat alors que François Fillon ou Emmanuel Macron envisagent d’affaiblir encore davantage la protection des travailleurs.

Quel avenir pour le droit du travail après la présidentielle ? Adoptée sans vote en août 2016 et contestée pendant des mois par un fort mouvement social, la loi travail facilite les licenciements, affaiblit le rôle des syndicats et remet en cause les 35 heures. Elle prévoit qu’un employeur puisse déroger aux protections des travailleurs prévues dans le code du travail par un simple accord d’entreprise. Plusieurs candidats souhaitent aller plus loin dans la dérégulation. François Fillon, par exemple, supprimera l’actuelle durée légale du travail. Emmanuel Macron et Marine Le Pen veulent aménager ou renégocier les 35 heures au sein des branches professionnelles. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, ainsi que la candidate d’extrême-droite, promettent d’abroger la loi travail.

Pour quelles alternatives ? Une vingtaine d’universitaires spécialisés en droit du travail, le Groupe de recherche pour un autre code du travail, publient ce 22 mars leur proposition de code du travail alternatif. Ils y planchent depuis plus d’un an et ont consulté six syndicats [1]. Résultat ? Le texte est d’abord simplifié – il compte 390 pages, soit « quatre fois plus court que le texte qu’il remplace ». Ils répondent ainsi à l’une des critiques sur l’actuel Code du travail, souvent jugés trop complexe.

Le nouveau petit livre rouge n’en est pas moins protecteur pour autant. (...)

Reconnaître comme salarié les travailleurs uberisés ou externalisés

Le premier enjeu : quels droits – à la sécurité sociale, aux congés payés, aux pensions retraites... – accorder aux nouveaux travailleurs indépendants, qu’ils soient auto-entrepreneurs ou employés dans l’univers des start-ups et de la révolution numérique, des plateformes de chauffeurs, telle Uber, de livraison de repas ou de travail en ligne. Parmi les candidats à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon souhaite par exemple « faciliter la requalification en contrat de travail salarié des auto-entrepreneurs à client unique et des collaborateurs exclusifs des plateformes dites collaboratives. [2] » Benoît Hamon promet qu’il luttera « contre le salariat déguisé des entreprises ubérisées » en permettant la requalification de leurs collaborateurs en salariés et en mettant en place « un statut social unique de l’actif ». Face à l’évolution du travail à l’ère numérique, c’est aussi la première question à laquelle se sont attelés les chercheurs du groupe pour un autre code du travail. (...)

CDI universel et suppression des contrats précaires

« En France, la part des travailleurs dont le statut est précaire a connu une très forte augmentation dans les années 1980 et 1990. Depuis les années 2000, cette part s’est stabilisée à un niveau élevé, aux alentours de 12 % de l’emploi total, rappellent les universitaires. Le CDD est aujourd’hui massivement utilisé, en violation de la loi, comme une forme de période d’essai sur des emplois stables correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise », dénoncent-ils. À ce scandale, ils répondent par… la suppression des contrats à durée déterminée.

On sent déjà les employeurs s’inquiéter : comment couvrir les besoins temporaires d’une entreprise lors d’un congé d’un salarié ou d’un regain d’activité ? « Il convient de permettre l’embauche d’un salarié pour une durée limitée, notamment lorsqu’il remplace un absent ou que la tâche pour laquelle il est employé est courte », rassurent les auteurs. Les CDD sont remplacés par un contrat à durée indéterminée, mais avec une clause de durée initiale. Cette clause pourra être activée – ou non – par l’employeur lors du retour du salarié temporairement remplacé, lorsque le surcroît d’activité ou que la mission temporaire se seront terminés. Dans ce cas, le salarié avec un CDI à durée initiale, sera licencié. Mais cette rupture de contrat ne sera pas automatique. (...)

« La solution proposée est radicalement opposée à celle habituellement désignée sous le nom de « contrat unique », précisent les membres du groupe de recherche. « Ces contrats uniques prétendent faire acquérir des droits progressivement aux salariés. Les salariés de peu d’ancienneté n’ont droit à aucune protection de leur emploi. Et, il est généralement prévu que même les contrats anciens peuvent être rompus sans motif exprimé. Un tel contrat unique unifie en généralisant la précarité. » Le projet de CDI généralisé ici défendu est bien différent : le contrat unique vise à supprimer ou à réduire l’obligation de justifier la rupture d’un contrat. Le CDI à clause de durée initiale, au contraire, généralise l’obligation de justifier la fin du contrat, même lorsqu’une durée limitée a été stipulée à la signature.

Rôle des syndicats renforcé

La loi travail adoptée en août affaiblit le rôle des syndicats en permettant notamment de faire adopter un accord d’entreprise contre l’avis des syndicats majoritaires, par le biais d’une consultation soutenue par des syndicats minoritaires. Ce code du travail alternatif souhaite au contraire renforcer le rôle des syndicats dans la négociation avec les employeurs.

Le texte prévoit de permettre à tous les salariés de disposer de représentants syndicaux, même au sein des très petites entreprises de moins de dix employés. Cela serait possible via – ce serait une nouveauté – des représentants syndicaux inter-entreprises, « afin que tous les salariés puissent exercer leurs droits à l’expression collective ».

Le droit au temps libre reconnu (...)

Ce peut être un temps utilisé pour exercer une deuxième activité professionnelle. C’est aussi le temps de la vie familiale, sociale, amicale, de loisirs, sportive, associative, militante... Ces “vies” là sont, elles aussi, essentielles. » Pour la vie familiale, mais aussi pour la société, l’économie, et la démocratie. Car « sans les activités militantes, qui sont, elles aussi, des activités du temps libre, il n’est pas de démocratie ».

Reconnaître le droit au temps dans le code du travail, c’est, concrètement, faire que ce temps de vie hors travail « ne puisse pas être interrompu par des demandes d’interventions intempestives. Il convient que l’employeur ne puisse pas modifier unilatéralement et à sa guise les horaires de travail. » Ce choix de remplacer le terme de temps de repos par celui de temps libre exige donc de prévoir l’emploi du temps des salariés. Autre effet, important : il protège le dimanche chômé. Or, le droit au dimanche non travaillé est constamment remis en cause. (...)

Congé parental obligatoire et égalité salariale réelle

Comment véritablement favoriser l’égalité professionnelle réelle entre femmes et hommes ? Les femmes employées à temps complet ne perçoivent encore, malgré un lent rattrapage, que 83% du salaire d’un homme [3]. Pour les concepteurs de ce code du travail alternatif, un rattrapage définitif de cette inégalité passe par la mise en place d’un congé parental obligatoire pour les pères ou les partenaires, de même durée que le congé maternité. (...)

Lutter contre le chômage et pas contre les chômeurs

« Les législations successives des vingt dernières années ont accru les obligations des chômeurs, renforcé les sanctions, supprimé des garanties de procédure et donné à Pôle emploi des pouvoirs importants de contrôle et de police », écrivent les membres du groupe de travail. À défaut de lutter efficacement contre le chômage, ces politiques ont de plus en plus culpabilisé les chômeurs, et rendu de plus en plus compliqué l’accès à l’assurance chômage en multipliant obstacles et tracasseries bureaucratiques, surtout pour les travailleurs précaires avec une multitude d’employeurs.

Face à cette dérive, le code du travail alternatif propose de mettre en place une représentation des demandeurs d’emplois dans les instances de Pôle emploi, via les organisations syndicales et les associations de chômeurs. (...)

Sanctions dissuasives contre les licenciements injustifiés

« Les licenciements justifiés doivent pouvoir être réalisés rapidement avec une grande sécurité juridique, proposent les auteurs du code alternatif. Ce code du travail alternatif ne vise pas à empêcher les employeurs de licencier quand ils l’estiment nécessaires, que ce soit pour des raisons économiques ou d’inaptitude. Une entreprise pourra ainsi licencier en cas de difficultés économiques sérieuses, d’une anticipation raisonnable de difficultés à venir, ou même des mutations technologiques conduisant à la disparition d’emplois.

« En revanche, les licenciements injustifiés, illégaux, doivent être suffisamment sanctionnés pour que la sanction soit dissuasive », précise le texte. (...)

Droit de préemption, droit de grève étendu, droits fondamentaux

Autre mesure proposée qui remettrait les travailleurs au cœur de l’économie : introduire dans le code du travail un droit de préemption des salariés sur leur entreprise en cas de revente de celle-ci, comme cela existe pour les locataires en cas de vente de leur logement.

Le texte redéfinit également le droit de grève, en l’étendant à des actions qui n’impliquent pas forcément un arrêt du travail. (...)

Plus largement, le groupe de chercheurs insiste sur la nécessité d’intégrer les droits fondamentaux au code du travail.

Ceci signifierait écrire noir sur blanc que tout travailleur est titulaire « du droit de grève, de la liberté syndicale, du droit à la négociation collective, du droit de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises, du droit à l’emploi et à un travail décent, du droit à la santé et à la sécurité dans son travail, du droit à une rémunération équitable assurant un niveau de vie satisfaisant, du droit à la formation tout au long de la vie, du droit à une protection contre le licenciement injustifié, du droit au repos, aux loisirs et au temps libre, de la liberté d’expression, du droit au secret de ses correspondances, du droit à un procès équitable, du droit à l’égalité de traitement… » À moins de considérer les entreprises comme des « zones de non droit » ?