La tension monte entre le gouvernement et l’organisation la plus structurée de la mouvance salafiste jihadiste, Ansar ach’charia (les partisans de la Charia) qui a prévu d’organiser son troisième rassemblement national annuel dimanche à Kairouan. Peut-elle aller jusqu’à la confrontation et enterrer un processus de transition affaibli par les nombreux retards ?
(...) pour le mouvement jihadiste, la Tunisie demeure un sanctuaire, une terre d’intendance. Une terre de prédication appuyée par un travail social, mais dont l’objectif est bien de convaincre les Tunisiens que l’instauration du Califat et l’application de la Charia sont le seul horizon valide.
Il n’a aucun intérêt à déclarer la Tunisie terre de Jihad, ce qui l’exposerait à la répression et priverait la mouvance jihadiste d’une base arrière. (...)
Alors qu’Ennahdha se veut un parti de gouvernement, Ansar ach’charia pour l’instant ne reconnaît ni l’Etat, ni la démocratie. Sa transformation en parti politique normalisé n’est pas pour tout de suite, même si ses discours s’inscrivent de plus en plus dans le débat politique national.
Elle reste une organisation jihadiste qui pourrait un jour poser des problèmes de sécurité, au moins à l’échelle régionale ou internationale.
Ensuite, la mouvance radicale et jihadiste voue une haine déclarée à Ennahdha qui, selon elle, a trahi sa vocation islamique, renoncé à l’instauration de la Charia sous la pression des Occidentaux et des partis laïques, et s’est soumis au diktat américain pour engager une politique répressive, notamment après l’attaque de l’Ambassade. (...)
Le Ministre islamiste des droits de l’Homme, Samir Dilou, a achevé de creuser le fossé en affirmant la 10 mai que :
« La Tunisie n’est ni une terre de Jihad, ni une terre de prédication mais une terre de citoyenneté. Le plus grand Jihad est celui de la construction de la démocratie » (...)
Il n’est pas certain que les jeunes militants jihadistes, supportent les contraintes imposées par les forces de l’ordre. La multiplication des heurts rendrait la situation plus difficile à contrôler. (...)
A l’opposé, les forces de l’ordre sont alarmées par la dégradation de la situation. L’existence de trafics d’armes aux frontières est désormais un fait connu. Leur destination reste une énigme :
- les jihadistes maliens ?
- des groupes armés algériens ?
- des particuliers tunisiens ?
- Ou des groupes armés locaux qui anticipent le moment du passage à la confrontation avec l’Etat ? Ce que laisseraient augurer les incidents dans les montagnes du sud–ouest, au mont Chaambi, mais dont on ne connaît rien avec certitude.
Les forces de police sont surtout ulcérées par les menaces et les violences dont ils sont l’objet. L’assassinat dans ces conditions horribles d’un officier de police à Djebel Jeloud, à proximité de Tunis, sur les indications d’un imam, a fait déborder le vase.
Elément nouveau dans la Tunisie post-dictature, les syndicats des forces de l’ordre, participent désormais au débat public et le Syndicat national des forces de l’ordre a réclamé lundi, et obtenu, la réactivation de la Loi antiterroriste de 2003.
Il est trop tôt pour dire si la séquence en cours aura contribué à recadrer les groupes radicaux, ou si au contraire, elle aura fait monter d’un degré le risque de dérapage dans la violence. Une confrontation ouverte ferait passer le laborieux travail de construction des institutions démocratiques au second plan, sinon aux oubliettes.