
La CGT ne baisse pas la garde. Même après trois mois de contestation qui n’ont pas fait pas reculer le gouvernement. Même après le recours au 49.3 à l’Assemblée nationale pour faire passer la réforme des retraites en force. Pour Philippe Martinez, le secrétaire général de la centrale de Montreuil qui appelle à une nouvelle journée de mobilisation le 31 mars, le conflit social nourrit toutes les autres formes de rejet de ce projet de système universel, y compris dans les urnes.
La CGT qui, tout comme FO, vient de claquer la porte de la conférence de financement, présentera ses propositions au sein de la contre-conférence de l’intersyndicale (CGT, FO, CFE-CGC, FSU, Solidaires) qui se tiendra au Cese le 24 mars. Philippe Martinez revient également sur les orientations stratégiques que doit prendre la CGT si elle ne veut pas rater le coche des nouvelles évolutions du travail.
Malgré des mois de contestation contre la réforme des retraites, le gouvernement vient de recourir au 49.3 Pensez-vous toujours qu’il existe une perspective de le faire reculer ?
Oui ! Sans langue de bois, oui ! Les jeux ne sont pas faits. Même après le 49.3. D’abord parce que le niveau de mobilisation a été et demeure assez exceptionnel. Sur les plateaux télé, on polarise beaucoup sur la SNCF et la RATP qui certes ont mis la barre très haut avec 50 jours de grève, mais en province on s’en fiche pas mal. La vision parisienne a beaucoup déformé l’image du mouvement. Mais partout en France, la détermination reste très forte (...)
Il y a aussi de l’originalité, avec les retraites aux flambeaux, les danseurs de l’Opéra, les murs de codes civils…. Vous savez, des manifs où j’ai défilé avec des banderoles d’avocats à côté de moi, je n’en ai pas fait pas beaucoup ! Les retraites concernent tout le monde. La contestation est donc large. (...)
Sans mobilisation, le débat aurait sans doute été déjà plié, même sans 49.3. Sans mobilisation, il n’y aurait peut-être pas eu l’avis du conseil d’Etat. Le moins qu’on puisse dire c’est que face à la mobilisation, le gouvernement et la majorité sont tout sauf sereins. (...)
Le 49.3, c’est d’abord parce que le gouvernement cafouillait, bien plus qu’à cause des 40 000 amendements déposés par l’opposition.
Nous ne renoncerons pas à obtenir le retrait le plus rapidement possible, mais ce sera aussi une guerre d’usure. La réforme est tellement mal ficelée qu’on en parlera encore pendant des mois et des années
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je persiste et signe, nous avons un des meilleurs systèmes au monde, mais j’ai toujours ajouté qu’il fallait l’améliorer. Pourtant, aussitôt qu’on explique que le meilleur moyen de remplir les caisses de la Sécurité sociale, c’est d’augmenter les salaires, on nous rétorque : ce n’est pas possible ! Pourquoi ne serait-ce pas possible ? Voilà une question qui mériterait un débat, mais il y a un barrage en France et en Europe de la plupart des gouvernements, du patronat. Ce qui n’aide pas non plus, c’est le clivage artificiel entre syndicats « réformistes » et « contestataires », que je conteste puisque vous connaissez ma position : nous sommes réformistes, mais cela dépend de la réforme !
Par ailleurs, on ne maîtrise plus collectivement, et peut-être en sommes-nous responsables, le fonctionnement la retraite. Il y a d’un côté la durée en trimestres qui conditionnne l’âge de départ, et d’autre part le salaire qui détermine le niveau de la pension future. Il faut donc travailler sur la validation des trimestres. (...)
Nos propositions d’amélioration du système sont précises, comme le retour à l’âge de départ à 60 ans. Et financées : par l’égalité salariale entre femmes et les hommes et par la suppression de certaines exonérations patronales. Elles sont nombreuses : la prime Macron, les heures supplémentaires, l’intéressement et la participation. Au total, ce sont près de 10 milliards d’euros de manque à gagner pour la Sécurité sociale. Rien que pour le CAC 40 cela représente 4,5 milliards d’euros. Nous envisageons aussi la socialisation des transactions financières. Et un jour ou l’autre il faudra se poser la question de l’augmentation des cotisations retraites pour assurer l’avenir de notre système. (...)
Comme FO, vous quittez la conférence de financement, pourquoi ?
Cette conférence posait un problème d’emblée. Outre qu’elle est placée sous la tutelle de la Cour des comptes et de quelques costards-cravates, le gouvernement reste libre de choisir ce qui lui conviendra à l’issue de ces discussions. Ensuite, les députés étaient censés discuter de la loi sans en connaître toutes les finalités, notamment en matière de financement. Depuis le 49.3, le même problème se pose au Sénat. Nous avons néanmoins décidé d’assister à l’installation. Nous avions dit alors à Edouard Philippe : nous pouvons en une seule séance vous démontrer que le prétendu déficit, c’est peanuts, et présenter nos propositions.
Nous l’avons fait dès la première séance de la conférence de financement. Samedi dernier, juste après l’annonce du 49.3 à l’Assemblée nationale, j’ai reçu une lettre du Premier ministre qu’on peut résumer ainsi : ma réforme est la meilleure, allez vous faire voir, pour rester poli. Nous organisons donc notre propre contre-conférence de financement le 24 mars au Conseil économique social et environnemental. Nous n’avons peur de discuter avec personne.
Nous espérons débattre avec les inspirateurs de la réforme, avec des économistes comme Jean Pisani-Ferry ou Antoine Bozio, des syndicalistes belges qui ont fait reculer le projet de réforme des retraites dans leur pays, des historiens comme Gérard Noiriel, des philosophes, etc.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, demande que le Sénat ne débatte du projet de loi retraites qu’après les conclusions de la conférence du financement. Vous lui donnez raison ?
Sur ce point-là, oui. Au-delà, nous ne sommes d’accord sur rien, puisqu’il soutient, comme la droite, le recul de l’âge de départ à 65 ans. (...)
Nous ne sommes pas allés à la conférence sur la gouvernance, parce que nous considérons qu’il s’agit d’un dévoiement des principes de la Sécurité social qui repose encore pour beaucoup sur des cotisations sociales. Le gouvernement n’a de cesse de faire croire qu’impôts et cotisations, c’est la même chose, et qu’il a donc la légitimité pour décider. Il a déjà fait ce coup pour l’assurance chômage. Il a supprimé les cotisations chômage pour les salariés et a repris la main après l’échec de la négociation, ce qui lui a permis d’étatiser l’Unédic. Or, la gestion des cotisations n’appartient pas au gouvernement, même s’il peut participer en tant qu’employeur, mais à ceux qui cotisent. Pour le futur conseil des retraites, on verra si on ira. Mais pour l’heure, nous en sommes à contester le projet. (...)
A la lumière des réformes précédentes, code du travail, assurance chômage, formation, et maintenant retraites, quelle analyse la CGT fait-elle du macronisme ?
On constate que le coeur électoral du projet macroniste lorsqu’il est mis en oeuvre, c’est la droite. Ce n’est pas du tout le « En même temps » qui serait plutôt social-démocrate, je flexibilise le marché du travail mais j’accorde des droits.
Idéologiquement, le projet macronien est d’inspiration libérale anglo-saxonne, avec l’idée que chacun est responsable de son sort. On le voit avec les retraites : si tu te débrouilles pour ne pas être au chômage, si tu ne fais pas d’enfant, si tu épargnes… tu auras une bonne retraite, sinon tant pis pour toi. (...)
L’environnement n’est pas un dossier facile non plus à la CGT. Quand on signe une tribune avec Greenpeace, ça peut faire grincer des dents dans la maison. Mais la CGT ne se replie pas sur elle-même. Elle est à l’écoute de cette demande environnementale. Il y a ceux qui disent qu’il ne faut pas parler à certaines ONG parce qu’elles sont anti-nucléaires et puis ceux qui estiment, et je suis de ceux-là, qu’il y a des dossiers où on peut avancer ensemble et qu’il faut accepter de mettre les sujets qui fâchent de côté pendant un moment. D’ailleurs Greenpeace a fait la même démarche que nous. On a décidé de se parler et d’agir ensemble. (...)