
Le site Actualitté a commenté hier un communiqué diffusé par le ministère de la Culture dans lequel Louis Gallois (Commissaire général à l’investissement) et Bruno Racine (président de la Bibliothèque nationale de France) annoncent la signature de deux nouveaux partenariats public-privé en matière de numérisation du patrimoine physique détenu par la bibliothèque.
Ces accords se caractérisent par une privatisation (droits d’exploitation commerciale exclusive pour 10 ans) d’un patrimoine appartenant pour tout (les livres anciens) ou partie (les enregistrements sonores 78 et 33 tous) au domaine public. Ironiquement, cette annonce s’effectue alors que dans ses voœux aux personnels de la culture, la ministre prononçait un discours dans lequel elle a répété que la culture ce sont les biens communs, c’est le bien commun de tous. Elle n’a sans doute pas fait le rapport. (...)
Les institutions culturelles sont passées d’une situation dans laquelle elles se prenaient pour les détenteurs uniques du savoir et des technologies d’indexation à une situation de démission de leurs responsabilités à l’égard des choix techniques. Elles ont intégré l’idée de l’impossibilité du scénario pourtant évident d’institutions publiques recourant aux services de prestataires privés pour qu’ils exécutent des prestations de numérisation sur des fonds définis dans un dialogue avec des usagers, dont le résultat attendu est défini dans un cahier des charges élaboré avec des experts internationaux et reste dans le domaine public tout comme les œuvres dont il est issu. Ces affirmations apparaîtront bien sûr schématiques, divers projets de mutualisation ou la charte du domaine public d’Europeana3 vont clairement dans une autre direction. Mais justement, ces projets restent extrêmement minoritaires et sous-financés.
Tout cela serait anecdotique si le contexte politique général n’était pas marqué par la tragédie des partenariats public-privé. Là aussi, il faudra des travaux d’historiens pour expliquer un jour comment on a pu conduire une politique aussi absurde que de permettre à des acteurs privés de faire payer avec une solide marge à l’Etat les investissements qu’il lui évitent de faire, sans pour autant avoir aucun des risques de prêteur et avec l’effet annexe de transférer massivement la définition des buts visés vers ces partenaires quoiqu’en disent quelques bons esprits qui pensent que la compétence manageriale remplace celle de contenu. Tout cela pour satisfaire à quelques dogmes et à divers critères comptables. (...)
nous voilà certains que si nous laissons faire, il y aura deux véritables sources d’accès au patrimoine numérique francophone librement réutilisable : les projets sociétaux (Internet Archive, UbuWeb, Wikisource, Projet Gutenberg, ainsi que les réseaux de partage de fichiers entre individus) et la Digital Public Library of America. (...)