
Un naufrage sociétal, c’est parfois long à mettre en place. Notre actuel temps, dit de la fin, se prolonge au point de faire oublier que tous les hommes vivant (ou agonisant) dans une même époque et dans un même espace n’ont pas forcément... le même vécu historique.
Au soir du jeudi 25 mai, les medias grecs se concentraient déjà sur l’attentat à la lettre piégée qui a blessé l’ex-Premier ministre et banquier Lucas Papadémos. Opéré dans la nuit (du 25 mai), ses jours ne sont pas en danger. Cette même journée du 25 mai, et pour la première fois à Athènes, les livreurs à moto étaient en grève. Dignité, désespoir et journées fort dangereuses.
Livraison de notre temps, jamais gratuite. On a beau lire les titres de la presse devant les kiosques, en vain ; il ne nous a pas été encore possible d’en trouver la moindre mention. Il faut alors fouiller sur internet, pour découvrir certains chroniqueurs ainsi rendre enfin hommage à nos livreurs à moto.

Maria Louka par exemple, sous le titre “La mort accidentelle d’un livreur à moto” (site “Inside story”, 23/03/2017) : “Il y a quelques jours, il a été tué en pleine rue un livreur à moto durant son temps de travail. Personne n’a été surpris par cet événement tragique. Les accidents de la circulation représentent 53% sur l’ensemble des accidents pour toute la branche restauration. Plus généralement, le... secteur de la livraison incarne à lui seul... ce royaume de l’arbitraire et de l’abolition absolue de ce qui subsiste encore de la protection comme de la législation du travail.”
“En ce 10 mars, l’annonce de la nouvelle de la mort de Mémos a été à peine remarquée par la presse. Ce ne fut pas tout à fait compréhensible sinon, pourquoi un jeune homme de 22 ans, puisse perdre ainsi sa vie, d’ailleurs, la nouvelle n’a pas été jugée bien importante. (...) Pour les vies ‘invisibles’, les morts sont aussi ‘invisibles’. (...) En déjà, leur travail est précaire, ces employés sont des êtres ‘jetables’ et interchangeables.”
“À l’instar de notre interlocuteur. C’est un jeune homme de moins de 30 ans, qui travaille ces deux dernières années en tant que livreur de produits alimentaires. Il raconte son histoire comme son expérience. Pour le protéger nous maintiendrons l’anonymat. ‘Voyez-vous, dans ce travail nos propres vies sont en suspens. Neuf livreurs sur dix sont payés trois euros de l’heure. Personnellement, j’en reçois quatre, mais cela après accord avec le patron. Pour moi, il n’y aura ni primes, ni congés. Car, comprenez-le bien, c’est un chantage indirect. Cet argent ne me suffit pas pour vivre, c’est évident. J’ai un deuxième emploi pour m’en sortir.”
“Le client veut que sa commande arrive dans moins de quinze minutes et le patron veut être en règle avec le client, mais non pas vis-à-vis de l’employé. Eh bien, le véritable coût de l’opération, il est finalement payé par le livreur. (...)
Habituellement, nous traitons ces livreurs comme des robots, à la manière des rouages des machines, un peu comme déjà dans les Temps Modernes de Chaplin. Livreurs anonymes forcément, que nous ne nommons pas, des extensions en quelque sorte de leurs motos.
En attendant... la généralisation des robots, en ce début du XXIe siècle et en ce mois de mai, nous commémorons (lorsque nous n’avons pas la mémoire courte), le moment précis de la première grande manifestation populaire à Athènes contre le... proto-mémorandum de Georges Papandréou.
C’était le 5 mai 2010. (...)
Et en ce temps bien actuel, sportif ou pas, Alexis Tsipras et les siens, apparaissent devant les medias bien décontractés, voire hilares. Un auditeur intervenant en direct par téléphone dans l’émission politique de Lámbros Kalarrytis (radio 90.1 FM du Pirée, semaine du 22 mai), a fait remarquer qu’une telle attitude laisse déjà trahir un cynisme alors certain... et d’ailleurs synonyme d’hybris.
Lámbros Kalarrytis lui répondit que c’est aussi peut-être parce que le pouvoir rend alors absolument fou. Et il y aura toujours ceux qui veulent le conserver à tout prix, le plus longtemps possible. En tout état de cause, Alexis Tsipras se déclare prêt maintenant, à accepter le plan de Wolfgang Schäuble au sujet du prétendu allégement de la dette grecque, ce même plan que le “gouvernement” d’Athènes faisait semblant de rejeter il y a à peine une semaine (médias grecs du 25 mai 2017).
Un naufrage sociétal ou politique, c’est parfois long à mettre en place. Mais pas toujours. D’autres naufrages ou même échouages, nous rappelleront toujours et encore combien cependant notre actuel temps de la fin peut se prolonger. (...)